A vos marques, prêtes… inégalités
« Médiatiquement, le foot féminin prend plus d’ampleur et c’est très bien », salue Caroline Pizzala, capitaine de l’équipe de l’OM et ex-joueuse en équipe de France. Et ça paye ! Les matches France-USA et France-Brésil, avec à chaque fois près de 12 millions de téléspectateurs, ont obtenu les meilleures audiences de l’année. Pour la première fois en France, tous les matchs de la Coupe du Monde féminine ont été retransmis à la télévision. La communication autour de l’événement est sans précédent pour une compétition « féminine ».
Une situation exceptionnelle qui révèle une autre réalité : les compétitions sportives féminines restent moins diffusées. En 2015, elles ne représentaient que 13,8 % des retransmissions en clair selon le ministère de la Culture. « Au moins deux matchs de garçons sont retransmis par semaine. Pour nous ce n’est pas le cas », affirme Marina David, handballeuse de l’OGC Nice. Conséquence : moins de sponsors, de moyens, et une difficulté pour les jeunes filles à trouver des modèles.
Si les sportives sont moins visibles, elles sont aussi traitées différemment dans les médias. « On ne parle pas de la même chose avec une femme athlète qu’avec un homme. Il faudrait poser les mêmes questions aux uns et aux unes », soutient Anne Vial, directrice de la ligue Paca de natation. Lors de la remise du premier ballon d’or à une footballeuse, en décembre dernier, la première question posée à Anna Hegerberg par Martin Solveig, animateur de la soirée, a été « est-ce que tu sais twerker ? » (le twerk est une danse à base de mouvements de hanches et de fesses, ndlr).
Moins capables ?
Cette réduction d’une sportive à son corps et sa désirabilité n’est pas nouvelle. Le contrôle du corps des athlètes a pendant longtemps été au cœur de la pratique sportive des femmes. Au point de les empêcher d’atteindre leur plein potentiel. Dans les années 1960, les compétitions internationales ont mis en place des vérifications de « féminité ». Mesdames, ne soyez pas trop fortes, trop musclées, trop performantes ou vous n’aurez pas le droit de concourir ! Si ces contrôles ont disparu, la féminité des sportives reste toujours surveillée, rappelle Anne Vial : « L’affaire Caster Semenya, une athlète sud-africaine, est un scandale. Elle naît avec un taux de testostérone supérieur à la moyenne. Le tribunal lui demande de prendre un traitement pour le faire baisser. Et il ne faut pas oublier que c’est une femme noire et lesbienne. On n’a jamais demandé à des athlètes masculins de modifier leur fonctionnement génétique. »
Certains sports, comme la boxe ou le tennis, ont des exigences moins élevées pour les femmes. Alors qu’elles ne sont pas moins endurantes ou moins capables que les hommes. « En boxe aux championnats du monde, les hommes font 12 rounds de 3 minutes. Les femmes vont faire 10 rounds de 2 minutes. Sauf qu’on s’entraîne avec les hommes sur 3 minutes et 12 rounds », affirme Johanne Cavarec, championne de France 2010 de boxe anglaise.
« Nous sommes au moins deux fois moins payées que les hommes » avoue la handballeuse niçoise Marina David. Au-delà des salaires, les moyens structurels et financiers sont moindres pour les femmes comme l’explique Johanne Cavarec : « En 2009-2010, l’équipe de France féminine de boxe avait moins de moyens. Elles étaient moins bien loties en terme de structures d’accueil (…) Elles sont maintenant mieux encadrées. Ça aide à être meilleure et plus performante. »
Malgré tout, une partie des sportives s’estiment satisfaites. « Le hand a été bien féminisé depuis quelques années. A la Ligue française de handball on est vraiment bien », affirme Marina David. Caroline Pizzala voit également en positif l’évolution du football féminin où, selon elle, beaucoup d’efforts ont été faits depuis le début de sa carrière, il y a 15 ans : « Les structures de formation et les clubs se développent. Il y a plus de moyens humains, financiers, donc les joueuses sont de plus en plus performantes. »
Féminisme, le mot qui fâche
La réduction des inégalités permettrait ainsi aux sportives de pouvoir aller au bout de leurs capacités. « Les performances des femmes se rapprochent de celles des hommes. (…) En natation, en moyenne, on est passé de 50 % d’écart de performance en 1900 à environ 8 % dans les années 1980 », explique Catherine Louveau, sociologue spécialiste du sport.
Mais sur la suite à donner, plusieurs écoles s’opposent. Pour Caroline Pizzala, « il faut être conscient de l’évolution qu’a pris le sport féminin en général et ne pas vouloir aller trop vite non plus (…) Il faut se satisfaire de ce qui est fait ». Un état d’esprit que déplore Catherine Louveau : « Aux Etats-Unis, les joueuses de tennis se sont battues pour avoir les mêmes primes. En France, je n’entends pas les sportives râler, réclamer. Le mot « féminisme » leur fait peur. (…) Ça me choque qu’elles acceptent cette infériorisation. Et elles l’acceptent parce qu’elles sont éduquées comme ça, parce qu’il ne faut pas politiser le sport. »
D’autres comme Anne Vial sont plus mitigées sur les revendications à défendre et les politiques à mener. « Je n’aime pas forcément la discrimination positive, mais peut-être qu’il faut en passer par là. Forcer le trait sur les athlètes féminines et les difficultés qu’elles rencontrent, car il y a moins d’argent, de visibilité, de couverture médiatique. »
Une nouvelle génération de sportives aura peut-être la réponse. Suzanne a 12 ans. Elle fait du handball depuis 4 ans, dans une équipe entièrement masculine. « Au hand, j’oublie que je suis une fille mais parfois je suis obligée de le souligner, de dire « arrête de me traiter comme ça« . Heureusement, c’est rare. Des fois, j’ai envie de m’imposer en disant « je suis une fille dans une équipe de garçons et rien que pour ça tu me respectes » (…) Je suis encore un peu jeune mais je pense que j’ai des idées féministes. » Jeune fille indignée par les inégalités deviendra peut-être handballeuse professionnelle engagée…