Petits meurtres entre amis
S’affranchir des règles de son parti ou de son mouvement politique pour tuer un(e) ancien(ne) camarade paie rarement. L’une des exceptions historiques dans la région est la victoire du socialiste Robert Vigouroux à la mairie de Marseille en 1989. Le candidat officiel du PS est alors l’avocat Michel Pezet, ancien dauphin du patron, Gaston Deferre, auquel il s’est opposé. Mais Vigouroux, en plus d’être maire interim depuis la mort de Deferre en 1986, n’est pas un dissident comme les autres, il a le soutien du big boss, François Mitterrand : Pezet est en effet proche du nouveau 1er ministre, Michel Rocard, ennemi intime du Président. « Vigouroux était le précurseur de Macron, il y avait déjà un rejet des partis, et finalement, ça l’a conforté, se souvient Michel Pezet. Il donnait l’impression d’un homme neuf. » Michel Pezet ira jusqu’au bout en se maintenant au second tour. « Cela reste un épisode plus cuisant que les autres. Il m’a fallu du temps pour m’en remettre, mais j’ai la chance d’aimer la campagne », rigole-t-il aujourd’hui.
La dissidence a toujours existé, mais selon le sociologue de la politique Philippe Aldrin, directeur de recherche à Sciences po Aix, elle est exacerbée aujourd’hui. D’abord du fait de la déliquescence des partis traditionnels : « Il est compliqué de faire régner la discipline chez les socialistes ou les Républicains quand vous ne dépassez pas les 8 %… [lors des élections européennes, Ndlr] Le pouvoir de sanction devient très faible. » Puis le temps politique s’est accéléré. « Il est beaucoup plus rare de voir des fidèles attendre 20, 30 ans dans l’ombre. On veut agir de suite. Et bien souvent l’entourage vous pousse à y aller. » Emmanuel Macron en est le symbole contemporain, le super dissident.
« Le plus dur, c’est d’être marginalisé »
En 2014 à Nice, Olivier Betatti se lance contre son rival, le LR Christian Estrosi. « J’ai vu la médiocrité s’installer. Et je me permets de le faire parce que je ne suis pas un professionnel de la politique, j’ai un travail à côté », commente-t-il. On lui fait comprendre qu’il faut qu’il se retire de la course : « Estrosi voulait absolument passer dès le 1er tour. Deux hommes de la mairie sont venus me voir, calmement. Et puis le responsable d’une association où ma fille prend des cours de guitare reçoit un jour un coup de fil : il faut qu’il arrête d’entretenir des liens avec moi ou on lui coupe les subventions. Ce coup de pression a été particulièrement difficile à vivre. »
Dernière intimidation, un tract tourne, reprise d’un article du Point, pendant la campagne où il est accusé d’avoir mouillé dans l’affaire Bygmalion au profit de son proche Jean-François Copé. « J’aurais fait pareil », rigole-t-il. Le Point sera finalement condamné en diffamation. Tout comme… Bettati, qui assure qu’un plan d’eau à Nice est contaminé… « Je ne regrette rien. On s’engage pour une ville avec une vision, les copains vous poussent… c’est grisant, il y a aussi une question d’ego. J’en garde le souvenir d’une aventure humaine plutôt sympa. Et ma fille s’est mise au piano, elle joue très bien », plaisante aujourd’hui celui qui finira par soutenir le Rassemblement national. Il fera 10 % au 1er tour, obligeant le « motodidacte » à un deuxième tour.
« Au final, ce phénomène de dissidence n’est que de la politique : un espace de conflit, exacerbé en campagne, analyse l’universitaire Philippe Aldrin. Les adversaires se connaissent très bien entre eux, leurs réseaux savent taper là où ça fait mal… Ce sont des interconnexions qui se transforment en désaccord de l’ordre de la trahison violente. Les mots et les méthodes peuvent être durs. » L’ego et l’ambition sont des ressorts importants de la dissidence, tout comme le pouvoir de négociation que cette menace peut apporter pour obtenir tel ou tel poste. « Mais même s’il y a beaucoup de calculs, il peut exister de vrais désaccords personnels ou politiques. Et la démarche n’est pas forcément insincère », continue-t-il.
Il peut y avoir aussi un mélange de tout cela. Toujours en 2014 à Marseille, Robert Assante, maire de secteur centriste affilié à la majorité Gaudin, part en dissidence face à Valérie Boyer dans le secteur où il est élu maire, les 11ème et 12ème arrondissements. Il récuse d’ailleurs le terme de dissident mais préfère celui de « républicain indépendant ». « Le projet du maire n’était pas celui dont il m’avait parlé. J’avais prévenu depuis longtemps et j’ai tenu parole. Du dire on passe au faire, c’est le plus compliqué », continue-t-il en insistant sur le coût d’une campagne électorale. Il en a marre de faire le bouche-trou, de se faire balader de secteur en secteur : « J’étais le bon copain, celui à qui on peut demander n’importe quoi. »
Pour lui, pas de violence directe mais l’indifférence. « Le plus dur à vivre, c’est d’être marginalisé. Des amis de trente ans ne vous parlent pas du jour au lendemain, on n’existe plus. Et ça continue encore aujourd’hui ! Certains vous disent même dans la rue “je voterai pour toi mais tu comprends, je ne peux pas m’afficher avec toi”. C’est dur. » On lui a longtemps fait miroiter un poste de député, qu’il n’obtiendra jamais. Dans le deal de son ralliement du second tour, il assure qu’on lui promet la mairie de secteur. Mais Valérie Boyer « s’est roulée par terre. Ils ont cédé ». Le panache ne paie décidément plus.