Pour ou contre les « quartiers créatifs » de MP 2013 ?
Pour
Les « quartiers créatifs » – le volet « action culturelle » de Marseille Provence 2013 – focalisent les crispations que suscitent les experts en ingénierie culturelle de la capitale européenne. Des animateurs de centres sociaux ont été choqués que l’on puisse investir des centaines de milliers d’euros dans un projet artistique éphémère alors que les pouvoirs publics maintiennent dans la misère la population des cités et ceux qui leur viennent en aide. Comment ne pas les comprendre ? Comment ne pas s’interroger sur la volonté d’enrôler les artistes dans des projets de rénovation urbaine contestables et contestés ?
Mais en attendant de tirer un bilan attentif de l’impact social, économique, politique et culturel de MP 2013 – ce que le Ravi ne manquera pas de faire -, il ne faudrait pas jeter la culture avec l’eau du grand bain destiné à lancer Marseille et son agglomération dans le top 20 des métropoles européennes. Un parfum très années trente flotte pourtant dans l’air du côté de l’extrême droite – normal ! – mais aussi à gauche de la gauche, désignant les artistes à la vindicte populaire. Les artistes seraient tous des esthètes élitistes, des mercenaires au service de l’ordre établi, des nomades sans attaches « locales », gaspillant l’argent public. Soulignons donc que la plupart des acteurs culturels sont des gagne-petit. Rappelons que si la culture donne depuis longtemps à certains l’envie de sortir leur revolver, c’est qu’elle est subversive. Affirmons que plus les quartiers sont défavorisés, plus les artistes devraient y avoir leur place.
Michel Gairaud
Contre
Choix cornélien : « Jaune ou rose ? » Entre la CFDT et le PS, entre le fumier et ce qui pousse dessus, j’opte pour la mauvaise herbe. Perdu : « Le changement, c’est maintenant », me promet, par flyer interposé, un artiste se proposant de recouvrir le tunnel de la Friche de la Belle de Mai à Marseille avec des panneaux. Pas question de tomber dedans. Ayant l’habitude d’emprunter ce boyau immonde, j’aurais préféré un peu d’air et de lumière, un coup de peinture, plus de bus… Alors, quand le « tunnel des mille signes » fut outragé, j’ai souri. Une cerise n’a jamais fait d’un étron une pièce montée. Et l’art, quand il s’invite dans des quartiers auxquels il a toujours tourné le dos, ne contribue pas à les rendre plus vivables, un tunnel s’apparentant plus à un garage qu’à une galerie, même quand le but est de l’amuser. Voilà pourquoi, face à ce coup de com’ que sont les « quartiers créatifs », des associations des quartiers nord ont refusé de se laisser instrumentaliser en voyant, par exemple, des milliers d’euros gaspillés dans un jardin si éphémère qu’il aurait été rasé dès 2014 car situé sur le tracé de la L2 ! Souvent réservé à une élite, l’art, dans ces cités, peine à masquer l’inaction de cette dernière tant il est un substitut au karsher. Encadré, accrédité, subventionné, autorisé, il est un nouvel art pompier qui voit marcher de pair artistes et condés. Ainsi, quand le Vieux Port s’embrase, la maréchaussée veille à ce qu’il n’y ait pas d’étincelles, transformant le grand incendie en pétard mouillé. De cet art qui marche, sinon au pas, du moins dans les clous, ne restera qu’un signe, qu’un sens : interdit. Qu’il me soit permis de l’être aussi.
Sébastien Boistel