Corsica Ferries en eaux très troubles
Les nouveaux remous qui secouent l’historique SNCM promettent à Corsica Ferries une nouvelle part du gâteau du transport passagers vers l’île de beauté, marché déjà dominé par la flotte jaune et bleue. Au risque d’offrir un monopole à une bien mystérieuse armada transalpine battant pavillon italien, souvent qualifié de complaisant. Officiellement, Corsica Ferries est une compagnie maritime fondée en 1963 par le Bastiais Pascal Lota. Son modèle économique est le low cost. En résumé, elle appliquerait simplement au maritime les recettes qui ont fait la fortune de Ryanair dans l’aérien : dumping social, traversée à partir de ports secondaires (Toulon et Nice), subventionnement public et soutien politique (1).
Structure opaque
La success story est cependant moins limpide. Loin d’être une compagnie maritime classique, la structure juridique de Corsica Ferries est un simple outil commercial. Une marque propriété de la famille Lota, longtemps (et peut-être encore) liée à la sulfureuse banque du Gothard (2), exploitée en France par la holding familiale française Lota Maritime, qui loue via des contrats d’affrètement les navires à des sociétés italiennes propriété de Lozali, autre holding du clan installée elle à Genève. Vous suivez ? Si ce maquis est classique dans le transport maritime, la domiciliation suisse de la tête du groupe a le net avantage de maintenir le secret sur l’identité des actionnaires, sa santé financière, etc.
Cette dernière ne cesse d’ailleurs d’interroger. « Deux audits, de 2005 et 2007, montrent qu’elle est inquiétante. Corsica Ferries a les mêmes problèmes que la SNCM : le coût du carburant et un faible taux de remplissage, 33 % », assure Michel Stefani, élu communiste à l’assemblée de Corse. « Ça fait 40 ans qu’ils naviguent à perte, sur un marché de plus en plus limité !, dénonce le journaliste d’investigation Enrico Porsia. L’audit en 2005 démontrait que la partie maritime du groupe était déficitaire de 8 millions d’euros ! » Depuis, secret suisse oblige, il faut croire Pierre Mattei sur parole. Dans un mail adressé au Ravi, qui évite tous ces sujets (qui fâchent ?), le président du directoire de Lota Maritime se veut rassurant : « Notre compagnie ne pourrait être durablement en perte […] Nos comptes sont déposés, contrôlés et… positifs. » Et d’assurer : « Nous avons même été retenus comme candidats à la DSP par des autorités qui ne sont pas suspectes de favoritisme à notre égard. »
Le mauvais exemple sarde
A voir. Cette année, l’exécutif corse a innové dans son cahier des charges : il n’exige plus les comptes consolidés des groupes candidats, donc de Lozali pour Corsica Ferries, mais seulement ceux de leurs sociétés françaises. Un cadeau qui fait bondir Enrico Porsia : « La collectivité verse des dizaines de millions d’euros sans en connaître le destinataire. » Paul Giacobbi (3), président PRG du conseil exécutif corse depuis 2010, n’a jamais songé à attaquer l’aide sociale, instaurée par son prédécesseur. Dénoncée dans un rapport parlementaire, cette aide a rempli les poches des Lota et de Pierre Mattei pendant dix ans (100 à 150 millions d’euros selon les chiffres) et est aujourd’hui qualifiée par le PRG de « subvention déguisée » (4) !
Cette mansuétude en inquiète beaucoup sur l’avenir de la desserte de la Corse. « La SNCM joue un rôle de modérateur de prix, comme le montre l’exemple de la Sardaigne. Après la privatisation de la compagnie publique sarde en 2012, les prix ont explosé », s’alarme Maurice Perrin, délégué CFE-CGC de l’ancienne compagnie nationale. Présents sur le marché, les Lota ont fait bondir les prix de 160 %. La plus grosse culbute de tous les opérateurs.
Jean-François Poupelin