Un Signes peut en cacher un autre
Quelques encablures après le bijou de parc d’attractions Ok Corral à Cuges-les-Pins (13), voilà le Var et le plateau de Signes. Cette commune aux petites ruelles provençales de 2800 habitants, nichée dans les contreforts du massif de la Sainte Baume, a fait la Une des chaînes d’info en continu en plein cœur de l’été. Le 5 août, le maire Jean-Mathieu Michel est témoin d’un dépôt de déchets sauvages, une plaie dans les environs. Il s’interpose avant de se faire mortellement écraser par une camionnette que deux jeunes entrepreneurs du bâtiment manœuvraient.
« Des journalistes partout pendant cinq jours », décrit Yves Reynaud, vice-président de Signes environnement , attablé en terrasse du Bar du chasseur, accompagné d’Hélène Verduyn, présidente de l’association, ainsi que de la secrétaire. Éditions spéciales, duplex… Le maire de 76 ans, en poste depuis 36 ans, devient le symbole de ces maires « à portée de claques », confrontés tous les jours à la violence proférée envers les élus. Un deuil de trois semaines est prononcé. Gérard Larcher, le président du Sénat, ainsi que Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, se déplacent à son enterrement. Et Jean-Mathieu Michel reçoit la légion d’honneur à titre posthume, élevé au rang de héros.
« Les gens sont un peu perdus »
L’enquête n’est pas définitivement bouclée mais le drame semble être accidentel et rien ne permet d’assurer aujourd’hui que le conducteur savait qu’il avait affaire au maire. Mais l’émotion du village n’est pas dissimulée. Tout le monde s’accorde ici pour dire qu’il « était très proche des gens », « le Provençal typique, convivial, présent partout, tout le temps. Il savait très bien tisser et utiliser ses réseaux », témoigne Georges Tautil, le secrétaire de l’association Citoyens au pays, la chambrette qui a pour objet de faire vivre la citoyenneté au niveau local. « Un maire pagnolesque », complète Yves Reynaud, qui se préparait à rempiler pour un septième mandat !
Naissance d’un héros
Loin de vouloir faire déshonneur à sa mémoire, les militants de Signes Environnement rappellent que l’ancien maire n’était pas le grand écolo que les médias ont parfois dépeint. L’association, qui compte 850 adhérents, se bat depuis trois ans contre l’installation d’une usine de goudron sur la commune de Signes. le Ravi s’en était fait écho en février 2017 (n°148). Le tribunal administratif de Toulon leur a accordé une première victoire en juillet dernier en annulant l’arrêté préfectoral délivré en 2016. « C’est le maire qui avait signé le permis de construire », rappellent les militants qui avaient vu leur subvention municipale divisée par deux. Avant de souligner que la disparition du maire et sa médiatisation a complètement occulté le fond du problème, les décharges sauvages qui pullulent. Finalement, « cela aurait pu arriver à tout le monde », témoignent plusieurs habitants.
Encouragée par la mobilisation, Signes Environnement va se muer en liste politique pour les prochaines élections municipales. La présidente Hélène Verduyn, retraitée aux longs cheveux blancs, en prendra les rênes. « Son décès n’a pas remis en cause notre candidature. Bien sûr que cela fait réfléchir, nous interroge sur notre tactique, concède-t-elle. Le métier de maire n’est pas simple, on me le dit tous les jours, mais l’engagement est le plus important. » En face, le 1er adjoint qui a pris la place du maire, Alain Reichardt, a promis de faire perdurer son œuvre et sera donc candidat (1). Nul doute qu’il surfera sur l’émotion du « drame ». Le RN pourrait tout aussi bien tirer les marrons du feu avec la candidature de Jean-Marc Menichini : 33 % en 2014 (il n’y avait que deux listes), 41 % lors des dernières élections européennes.
Guerre de succession
Une certitude : la campagne sera particulière, peut-être plus apaisée finalement. Tout le monde s’attendait à ce que le maire rempile. Toujours au bar, deux jeunes de 15 et 17 ans discutent : ils avouent ne pas avoir été très concernés par le décès du maire mais Nao se demande bien « qui va gagner !? On a toujours connu le même maire… » Un peu plus loin, Frantz Berthier, un aide-soignant costaud à la belle mèche grise, qui habite ici depuis huit ans, explique : « Les gens sont un peu perdus, beaucoup de questions se posent. » Il estime que la campagne sera suivie car « il faut sauver le village, il y a besoin de changement ». Un mal pour un bien finalement ? « Si son décès peut faire changer les choses, il aurait été pour », plaisante-t-il à demi-mot. Pour l’associatif de 80 ans Georges Lautil, la commune risque de ne pas échapper « au statu quo. En Provence on fait tout pour maintenir une droite forte au pouvoir. Ici aussi. On aura du mal à remonter la pente ».
Mi-septembre, des fanions de couleur ornent encore les ruelles bien calmes du village. Une dame à lunettes seule à sa fenêtre salue un petit groupe de touristes. En face, trois hommes sont assis devant une épicerie de produits locaux. On débat : « L’image du maire était parfois ambiguë, un jour il est très bien, l’autre un voyou… », lance l’un d’eux en référence au projet d’usine de goudron. « Avait-il vraiment le choix ? », répond l’autre. « Il y aura une petite bataille pour les élections, c’est sûr, même si c’est un petit village. Revenez dans quelques mois ! », lance le dernier. La politique a définitivement horreur du vide.
1. Il n’a pas souhaité recevoir le Ravi.