La Belle de Mai toujours en friche
La Belle de Mai le quartier le plus pauvre de France ? « Mais je n’en peux plus de cette étiquette qui nous colle à la peau, s’insurge Serge Pizzo, le tempétueux président du Comité d’intérêt de quartier. C’est des conneries d’inventions de journalistes pour vendre du papier sur la misère des gens. Et ils passent à côté de l’essentiel. Ici, dans mon quartier, les gens sont solidaires et vivent en harmonie, quel que soit l’âge ou l’origine. » Pourtant, les chiffres sont têtus : avec Saint Mauront, Saint Lazare et la Villette, la Belle de Mai fait partie du 3ème arrondissement de Marseille, classé chaque année depuis 10 ans « quartier le plus pauvre de Marseille » avec un revenu moyen de 6300 euros par « unité de consommation », soit la moitié du revenu médian de la ville toute entière ! Et comme Marseille est l’une des villes les plus pauvres de France…
Lisette Narducci, maire du 2ème et 3ème arrondissement, partage son envie de défendre le quartier en utilisant d’autres arguments : « La Belle de Mai est un quartier populaire qui a été abandonné par la ville. Comme si ce n’était pas suffisant de voir les deux plus gros employeurs – la Seita, puis la maternité – fermer leurs portes ! Ici, pas de plan de rénovation urbaine, aucune volonté de désenclaver le quartier par les transports en commun. Sans 2013, nous aurions encore les deux tunnels SNCF totalement insalubres et dangereux, sans parler du boulevard National qui était devenu un vrai chaos urbain. Mais je sens que les choses changent. Sur la rue Loubon, véritable concentré de l’abandon et de la misère, trois programmes d’immeubles neufs sont prévus. Ils succèdent aux immeubles qui se sont construits ces dernières années autour de la Friche de la Belle de Mai. Il est clair que l’activité culturelle contribue largement à redorer le blason du quartier. Le reconversion de la caserne du Muy va également contribuer à le changer. Si vous voulez savoir où ça se passe dans les prochaines années, c’est ici qu’il faut venir ! »
GRILLE FERMEE ET PASSERELLE
Friche de la Belle de Mai, Comptoir Toussaint-Victorine, Gyptis, Bancs Publics, L’Embobineuse, de nombreuses structures culturelles ont investi depuis 20 ans le quartier sans pour autant réussir à enrayer son déclin. La Friche est évidemment l’exemple le plus frappant. Avec sa grille d’entrée systématiquement fermée, le lieu ne présente pas un accueil des plus chaleureux. Mais ce n’est rien par rapport aux personnes qui travaillent au quotidien sur place et qui vivent depuis longtemps en vase clos, au point que le reste de la ville les a appelés les « frichistes ». A la tête de la structure depuis l’été 2011, Alain Arnaudet souhaite profiter de 2013 pour recréer du lien avec le quartier. « L’ouverture de la tour Panorama, les 48h chrono, This is not music avec l’ouverture sur les cultures street sont autant d’occasions de faire venir les gens du quartier à la Friche », espère-t-il.
La crèche associative, ouverte depuis un an, est également l’occasion pour les habitants d’entrer à la Friche. « Pour l’accueil des enfants, nous avons un cahier des charges très strict, explique Marion Latuillière, la directrice. Un tiers de familles du 3ème arrondissement, un tiers qui travaillent dans le quartier et un tiers d’ailleurs. Cela permet de créer des passerelles entre les gens. » Autre initiative, celle des « Grandes tables », le restaurant de la Friche qui, depuis trois ans, ont mis en place le lundi un marché paysan. « Les clients viennent en majorité du quartier, assure Aimé, maraîcher de Mollegès. C’est à croire que les gens qui travaillent ici ne mangent pas de légumes ! » Leurs pratiques alimentaires restent à vérifier mais, ce qui est certain, c’est qu’un petit nombre d’entre eux habitent le quartier. « Il y a deux, trois ans, quand j’envoyais un courrier aux personnes qui travaillent à la Friche, je voyais qu’il y en avait seulement 10 % qui vivaient dans le 3ème arrondissement », affirme Odile Thierry, responsable communication à la Friche.
DISCOURS ET PRATIQUE
Et c’est pire aux Têtes de l’Art, l’une des structures du Comptoir de la Victorine, l’autre friche de la Belle de Mai. « Quand j’ai commencé, j’habitais le quartier en colocation car c’était vraiment pas cher, explique Julien Ruols, médiateur aux Têtes de l’Art, l’une des structures du Comptoir. Mais j’ai fini par faire comme tout le monde dans l’équipe, partir habiter à la Plaine qui est un quartier quand même bien plus vivant. » Noëlle, qui assurait l’accueil au Gyptis, avant sa fermeture (la reconversation du théâtre fait l’objet d’une bataille…) , raconte la même histoire : « Dans l’équipe, j’ai longtemps été la seule à vivre dans le quartier. Mais après 15 ans, quand j’ai eu la possibilité de partir, je n’ai pas hésité. J’étouffais ici. Pas de vie nocturne, pas de cafés, pas de cinéma, pas de transports, le quartier est dur, très dur. »
Une situation qui surprend Emmanuelle Gourvitch et Yves Fravega, de la compagnie l’Art de Vivre : « La plupart des structures culturelles qui s’installent ici portent un discours sur la nécessaire relation avec les habitants. C’est d’ailleurs ce qui déclenche souvent des financements publics via la politique de la ville. Aussi, nous, nous avons évidemment décidé de vivre dans le quartier, c’est un peu la moindre des choses. Cela permet de créer de véritables liens avec les gens et c’est aussi le meilleur moyen de contribuer à l’économie de proximité, en dépensant nos salaires dans les loyers et les commerces. Cela nous semble plus déterminant qu’organiser un événement pour changer le regard sur le quartier, non ? »
Stéphane Sarpaux