Quand le Var manque d’aires…
« La misère est au soleil, moi j’vous l’dis ! », lance Bodin, la trentaine qui attend de savoir s’il peut s’installer avec sa famille sur l’aire des gens du voyage de la Farlède, à côté de Toulon. Le bureau d’Hélène, l’agent d’accueil, ne désemplit pas. L’aire compte 30 emplacements, tous déjà pris. Elle dirige Bodin vers celle de Brignoles. « Ah non merci ! C’est une cuvette là-bas, on n’arrive pas avoir la télé et le portable ne passe pas, s’insurge Bodin. C’était mieux avant quand il n’y avait pas de places désignées. »
Dans le Var, les gens du voyage se bousculent aux portillons des aires d’accueil tellement elles sont peu nombreuses. Le schéma départemental de 2003 en prévoyait 18, mais dans les faits il n’en existe que cinq. Celle de Six-Fours a pris l’eau peu de temps après son inauguration. Celle de Puget est dégradée avant d’être terminée. Parmi les deux aires de grand passage destinées aux convois de missionnaires, sur les 8 préconisées, celle de Fréjus est inondable… « Tout gitan qu’on est, on tient à notre dignité », note Helig, la soixantaine, en nous montrant les sanitaires collectifs sans fenêtre de la Farlède. Les aires existantes ont été construites sans l’avis de ceux qui vont y vivre et qui paient des emplacements. 5 euros par jour à la Farlède, 6 euros à Brignoles, contre 2 euros à Marseille (St Menet) et à 2, 50 euros sur Paris. Avec l’eau et l’électricité, l’emplacement revient facilement à 80 euros par semaine. Une caravane n’étant pas considérée comme une habitation, aucune aide au logement n’est possible.
« Avant, les communes de plus de 5000 habitants étaient subventionnées à 70 % par l’Etat pour installer les aires d’accueil, précise Jérôme Burcklen, chargé du pôle habitat de la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage). Depuis le 31 décembre 2008, c’est à la charge de la commune, mais la préfecture peut s’y substituer et mettre en place les espaces manquants. Cependant aucun préfet ne le fait et aucune commune n’est inquiétée. » A Sanary-sur Mer, l’aire doit être construite depuis cinq ans, elle est même inscrite au PLU. Mais toujours rien ! L’an dernier, le maire, Ferdinand Bernhard (Sans étiquette), grand seigneur, nous assurait : « Je leur ai même proposé de leur payer le camping, mais ils ne veulent pas. Que voulez-vous que j’y fasse ! » Un geste altruiste qui fait sourire l’opposition. « Ça n’a pas été une prise de parole publique en tout cas ! », s’étonne Olivier Thomas, conseiller municipal UMP. En juin dernier, Ferdinand Bernhard n’a pas hésité à couper l’eau à tout un secteur sur lequel s’étaient installés des gens du voyage… Mais vivant lui-même dans le quartier, il a fini par la rétablir ! Pour François Espinas, coordinateur départemental gens du voyage, il y a peu d’espoir de voir le problème se régler : « A une année des échéances municipales on sait de toutes façons qu’aucune aire d’accueil ne verra le jour car les politiques ne veulent pas froisser leurs électeurs. »
Si rien n’avance pour les itinérants, c’est encore autre chose pour ceux qui veulent se sédentariser. Les aires d’accueil ne sont pas prévues pour, puisque tous les deux mois les caravanes doivent quitter les lieux. On leur propose des HLM, comme c’est le cas à la Ripelle, au Revest où les familles qui vivent sur place depuis 1972 seront relogées dans des maisons individuelles d’ici quatre ans. « Mais lorsqu’ils veulent rester dans leurs caravanes c’est plus compliqué, nous explique Sasha Zanko, rom français et président de l’association Tchatchtipen à Toulon. Car même lorsqu’ils ont les moyens d’acheter un terrain privé les communes font tout pour empêcher qu’il soit viabilisé. »
Les occupations illégales sont donc légions. Fin février les soixante familles sédentaires qui occupaient depuis dix ans le terrain de la Chaberte à La Garde, ont été expulsées par TPM qui, ironie du sort, veut y construire une aire d’accueil pour les itinérants. Philippe Chesneau, a tenté avec d’autres élus locaux de défendre les droits de ces derniers en préfecture. « C’est la première fois que je vois ça, s’inquiète le conseiller régional EELV. La directrice de cabinet qui nous a reçus est restée campée sur ses positions, il n’y a plus de dialogue possible. » Le député varois UMP, Philippe Vitel en est encore, quant à lui, à balancer sur son blog des clichés d’un autre temps : « Mais comment font-ils pour se payer de si belles voitures et caravanes ? » Façon, l’air de rien, d’entretenir la peur du voleur de poules…
Samantha Rouchard