Les chiens aboient…
Début avril, un spectacle, « Reinhardt, prénom Django », aura lieu à Gignac… dans le Gard. Car, à Gignac, dans le « 13 », pour les gens du voyage, une autre partition se joue. D’après l’association Rencontres tsiganes (1), le maire (PS), « prenant prétexte de la préservation des terres agricoles », vient d’engager « une campagne systématique d’évacuation de plusieurs dizaines de familles dont certaines sont présentes dans la commune depuis plus de vingt ans et sont propriétaires de leurs terrains ».
Rappelant qu’il reste à Gignac « moins de 3 % de terres agricoles », Mr le maire, Christian Amiraty est inflexible : « Suite à l’installation de poteaux électriques de fortune pour alimenter une parcelle, lorsque mes équipes ont voulu intervenir, elles se sont fait caillasser. Avec le procureur et la préfecture, on ne pouvait pas ne pas réagir. Des familles sont déjà parties. Et d’autres ont demandé un relogement… »
L’une d’elles ne décolère pas : « C’est du harcèlement ! On vivait, tranquille, sur notre terrain depuis 2005. On avait installé notre caravane, un mobil-home… Nos enfants allaient à l’école. Et puis il a fallu tout retirer. On s’est installé un peu plus loin. Mais on ne va pouvoir rester. Alors qu’on est propriétaire ! Paraît qu’il y aura une aire d’accueil à Gignac. Mais, avec 46 places, comment accueillir tout le monde ?»
Dans le collimateur
Cette situation est loin d’être isolée. Au Puy-Sainte-Réparade, près d’Aix-en-Provence, une quarantaine de familles est sommée de quitter les terrains qu’elles occupent. « Quand elles ont voulu voir le maire, on leur a dit qu’il n’était pas là. Ce jour-là, il était au tribunal pour être mis en examen », peste l’association. Jean-David Ciot, le maire PS, assume : « S’il y avait jusque-là une tolérance, on est passé de caravanes à des constructions en dur. Or, on est en zone inondable. Une caravane, on peut l’évacuer. Pas un chalet. »
Reste que dans ces deux villes de plus de 5000 habitants, il n’y a pas, comme les y oblige pourtant la loi Besson de juillet 2000, d’aire d’accueil pour les gens du voyage. Légalement, elles ne devraient donc pouvoir s’opposer à leur présence. Ciot assure qu’il y aura une aire au Puy. Sauf que « le terrain proposé fait l’objet d’un examen en interne, précise-t-on à la Communauté du pays d’Aix. Car, quand le terrain est inondable ou pose d’autres problèmes, rien ne sert de soumettre le dossier à l’État. En matière de manœuvre dilatoire, nos élus savent faire… »
Pourtant, suite à l’abrogation par le Conseil Constitutionnel, après un siècle d’existence, du carnet de circulation, le gouvernement vient d’annoncer vouloir non seulement reconnaître la culture des gens du voyage mais surtout faire évoluer leur statut. Or, pour Alain Fourest, de Rencontres Tsiganes, « après les Roms, aujourd’hui, ce sont les gens du voyage qui sont dans le collimateur ». Et il y a, selon lui, en Paca, une véritable ambivalence à leur égard : « D’un côté, on promeut leur culture mais, de l’autre, on rejette ceux qui la portent. »
Ainsi, d’après la Cour des comptes (octobre 2012), Paca est, pour les gens du voyage, la région la moins accueillante : moins d’un quart des aires d’accueil prévues ont été réalisées, avec, bons derniers, les Bouches-du-Rhône (16 %) et les Alpes-Maritimes (8 %). Mais le Var n’est pas en reste ! (lire page 12) Pourtant, comme le rappelle l’ethnologue aixois Marc Bordigoni (2), même si « le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer ne date que de 1935 », « la présence du « Boumian » dans la crèche » témoigne de l’ancienneté de la présence des gens du voyage en Paca. Ce qui n’est guère étonnant au regard de la situation géographique de la région – au croisement de l’Italie, de l’Espagne et du Maghreb – et des activités qu’ils exercent : « Ils travaillent dans l’agriculture, l’artisanat, le commerce, les marchés. Et, en été, les clients, ils sont en bord de mer… »
Reste que, pour le chercheur, ce qui caractérise la région, c’est « l’inorganisation de l’accueil ». Si la stigmatisation des « nomades » par Sarkozy, notamment depuis le discours de Grenoble en 2010, n’a rien arrangé, la Cour des comptes pointe, elle, autant « la rareté des disponibilités foncières » que la « réticence des collectivités à remplir leurs obligations ». Ce que Fourest traduit ainsi : « Ici, les gens du voyage, personne n’en veut. » En témoigne ce qui se passe aux Saintes-Maries-de-la-Mer (13), une ville qui, tout en bénéficiant du pèlerinage, fait la chasse aux « diseuses de bonne aventure ».
Autre facteur explicatif, pour Marc Bordigoni, ayant, un temps, travaillé pour l’AREAT (association régionale études actions tziganes), la façon dont cet organisme a conçu et géré les aires d’accueil : « Ne serait-ce que par leur physionomie – un camp, entouré de clôtures avec, au centre, le bloc sanitaire – ces aires sont devenues de véritables points de crispation ».
Les aires, point de crispation
Comme l’est désormais la question des terres agricoles. Un « prétexte, dixit Alain Fourest. Si des gens du voyage se retrouvent sur des terrains, c’est parce qu’on a bien voulu leur vendre. D’ailleurs, légalement, rien ne devrait s’opposer à ce qu’ils bénéficient d’un raccordement au réseau électrique et sanitaire ». Et si, aujourd’hui, l’heure est aux aires « nouvelle génération » avec emplacements et sanitaires individualisés, pour lui, « les problématiques ont évolué. On a affaire de plus en plus à des populations sédentarisées. Or, vu le retard en Paca sur les aires d’accueil comme du côté du logement social, l’alternative entre la caravane et le HLM, si elle est imposée, est un non-choix ».
Une problématique abordée par l’exposition « A la gitane », au J1, sur la vie quotidienne des gitans arlésiens et sur laquelle a travaillé Anne Drillau, de l’association Petit à Petit. « Parce que voyager était de plus en plus difficile, une communauté de gitans s’est installée sur Arles il y a plus de 20 ans, souligne-t-elle. Et, depuis 2004, elle vit dans un quartier d’habitat social. Or, parce que cela ne va pas sans mal, il a fallu accompagner cette sédentarisation. On sent chez eux beaucoup de nostalgie. Comme me l’a dit un vieux gitan : "Avant, on était plus libre. Non parce qu’on voyageait. Mais parce qu’on restait entre nous". De fait, des préjugés, il y en a des deux côtés. Le dialogue est donc indispensable. »
Problème : pour dialoguer, il faut être au moins deux. Or, symboliques, les quelques élus en Paca qui s’intéressent à la question se comptent sur les doigts de la main… de Django Reinhardt. Ce qui fait dire au fondateur de Rencontres Tsiganes : « Depuis plus de dix ans, on a été de toutes les discussions pour défendre les droits des gens du voyage. Aujourd’hui, l’échec est si patent et la tension telle que même notre crédibilité est mise à mal. Ceux qui ont joué le jeu se sentent floués. Comment s’étonner alors de voir des convois qui, avant, ne comptaient pas plus de cinq caravanes, en réunir aujourd’hui plus d’une dizaine ? Car, d’une certaine manière, la seule chose qui marche, c’est le rapport de force. »
Sébastien Boistel
1. www.rencontrestsiganes.asso.fr
2. Auteur, entre autres, au Cavalier Bleu, du livre « Les gitans ».