Bienvenue chez les « slow »
« On dirait le Sud / Le temps dure longtemps… » Qui, ici, en entendant ce refrain, n’a jamais soupiré d’aise ? Mais si une région, c’est une chanson, quoi de commun entre le « Dimanche aux Goudes » des Massilia Sound System et la « batte ou la hache » de « Je danse le Mia » d’IAM ? Peut-être la dualité d’un territoire « champion du monde » du farniente et du bon vivre mais qui abriterait une population au sang chaud, au verbe haut et au pied lourd (sur le ballon comme sur l’accélérateur). Une région qui, en outre, souffre d’inextricables pesanteurs. Bref, si Paca est assurément lente, la région n’est pas encore tout-à-fait « slow ».
Quoi de plus convaincant que le bleu très définitif du panneau « Fin provisoire d’autoroute » juste avant Gap (05) ? Ou la L2, ce périphérique en éternelle construction censé, un jour, contourner Marseille ? Et que dire de ce Vieux-Port livré in extremis et en version a minima pour Marseille Provence 2013 ? Qu’importe pour Eugène Caselli, le patron PS de l’agglomération trouve matière à se réjouir : « On a fait le Vieux-Port en huit mois alors qu’on aurait dû en mettre le double ! » En attendant, le jour J de la capitale européenne de la culture, la nouvelle ombrière y était toujours en jachère… Malgré cela, à chaque trou bouché, fleurit un panneau clamant « Ma ville accélère ». Le tout emballé dans un paquet-cadeau appelé « métropole », même si, vu l’hostilité qu’elle suscite, il semble qu’on ait voulu aller plus vite que la musique…
C’est pourtant juste à côté, en Italie, qu’est né, en réaction à l’arrivée de Mac Do, le « slow food » (lire aussi page 14). Une réflexion qui, dixit Lucien Biolatto, animateur sur Aix-Marseille et Toulon de ce mouvement, « a vite dépassé le simple cadre de la nourriture pour s’intéresser à la convivialité, au bien-vivre. Et donc à l’environnement et à l’économie. Voilà pourquoi il y a aujourd’hui des « slow cittas », des villes « lentes »… » Mais, s’il y en a dans le sud-ouest, il n’y en a pas en Paca. Lucien n’est pas surpris : « Dans le sud-ouest, il y a un véritable attachement au terroir. Alors certes, si, en termes de qualité de vie, de convivialité, il y a une réelle différence entre Paris et le sud, au-delà, sur l’environnement, par exemple, le bilan est beaucoup plus mitigé. Ici, le béton est roi, les terres agricoles de plus en plus rares et le bio plafonne. Pas étonnant qu’il n’y ait pas de « slow citta ». Ce qui ne nous empêche pas de souffrir de pas mal de lenteurs qui mêlent incompétences et petits arrangements. S’il est un domaine où, en Paca, on fait preuve d’une lenteur exemplaire, c’est dans celui de la justice. Las, on a les élites que l’on mérite… »
« Subvertir les clichés pour en faire une fierté »
Bruno Le Dantec
Des élites qui, en général « ne viennent pas d’ici » note Cesare Mattina. « Elles balancent souvent entre récupération rétrograde de traditions locales réinventées ou contribution à la standardisation des modèles culturels sans lien aucun avec les histoires locales, explique le sociologue. Ce n’est que très récemment qu’on a vu émerger, comme le centre culturel occitan, des mouvements progressifs portant une réflexion sur l’identité régionale. » Des mouvements que Bruno Le Dantec, écrivain marseillais, connaît bien, comme la « sardinade des feignants » du 1er mai ou le « Carnaval de la Plaine » : « Marseille, comme Naples ou Séville, c’est une ville méprisée qui parvient à subvertir les clichés dont on l’affuble pour en faire une fierté. On dit de Marseille qu’elle résiste par inertie. En refusant de rentrer dans les cadres et les cases, elle parvient surtout à questionner une société qui voudrait qu’on ne se réalise qu’à travers le travail tout en le supprimant à tour de bras. » D’où sa participation, il y a quelques années, au « manifeste des chômeurs heureux, des Berlinois qui en avaient marre d’avoir à faire semblant de chercher du travail. J’en suis un peu revenu. Car les minimas sociaux achètent la paix sociale mais n’empêchent ni la misère, ni des rapports de plus en plus solitaires entre l’Etat et l’individu ».
Emblématique : l’assemblée contre la précarisation, un collectif de chômeurs marseillais, a fini par tirer le rideau. Ce qui n’empêche pas la « débrouille », ce savant cocktail mêlant période de boulot et d’inactivité. Que nous vantait, en marge d’un défilé il y a quelques mois, un facteur à la retraite : « Combien de personnes dépérissent à la retraite parce qu’elles n’ont eu que le travail dans leur vie ? Faut une passion dans la vie. Moi, c’est la pêche, le bateau… A la Poste, j’ai eu la chance de préparer ma retraite. Un luxe que n’ont plus mes collègues aujourd’hui. » Autant dire qu’on est à cent lieues des « stratégies sophistiquées quoique sclérosantes» dont se souvient un ancien salarié du « Paquebot », le surnom donné à l’Hôtel du département des Bouches-du-Rhône, pour échapper à… la « pointeuse ».
Dans la région, conjuguer travail et lenteur ne date pas d’hier. En témoigne la présence depuis 1973, dans les Alpes de Haute-Provence ou dans le pays d’Arles, de Longo Maï qui expérimente autogestion et vie communautaire : « Chez nous, c’est plus qu’une réflexion, c’est une pratique, assure Hannes Lammler, de la coopérative agricole arlésienne. Récemment, un jeune a eu l’idée de faire la tonte des moutons à la main. Ainsi, on travaille dans le calme, sans électricité ni machine. Et, en s’y mettant à plusieurs, c’est l’occasion de se retrouver. Prendre en charge collectivement le travail, ça permet de se dégager du temps. Dans une société de plus en plus stressée, la lenteur, c’est une idée éminemment moderne. » Au point qu’Hannes redoute de la voir « récupérée par le système. Même les supermarchés font la promotion des producteurs locaux. Et, en région parisienne, on vend des paniers « bio » venus… du sud de la France ! » Alors, face à la multiplication dans la Crau des plates-formes logistiques, pour lui, « la lenteur, c’est une forme de résistance ». Et de rêver de « services publics performants pour se déplacer en train, en vélo. Car, pour l’heure, c’est encore le règne du « tout bagnole »… »
Au vu du mécontentement dans les TER, qui accumulent les retards, et de la mobilisation contre la LGV, en Paca, on hésite encore entre aller trop vite ou trop lentement. « A quoi sert de dépenser des milliards pour rouler à 300 km/h dans une région où, en voiture, on roule en moyenne à 20 km/h ?, interroge Olivier Lesage, du collectif « Stop LGV Coudon ». L’urgence, c’est d’investir dans les TER. Las, chacun veut son grand projet avant les prochaines élections, tout en assurant que cet investissement permettra d’améliorer le réseau ferroviaire. Comme si, pour rouler en R5, il fallait se payer une Ferrari ! »
Ancien commercial devenu enseignant équestre à Venelles (13), Stéphane Chanoux, lui, après avoir troqué il y a des années son tracteur pour un cheval de trait, planche sur un « véhicule hippomobile hybride » pour « le ramassage scolaire ou d’ordures comme cela se fait dans le Nord. Pour des communes ne pouvant se payer une camionnette ou un car, le cheval, c’est l’idéal. Et puis, c’est moins bruyant, moins polluant et plus valorisant. Même Veolia y a réfléchi. Et il y a déjà une commission nationale des chevaux territoriaux ! » De quoi intéresser les syndicalistes des territoriaux Force ouvrière. Et tous ceux qui plaident pour un retour du cheval autrement que dans nos assiettes…
Sébastien Boistel