Manifeste pour le droit à la « p(a)resse »
La presse a le droit de prendre le temps ; mais elle l’oublie.
La presse sait avoir d’autres ambitions qu’une information brûlante et désincarnée, vendue comme un produit standardisé réplicable à l’infini ; sait-elle s’en donner les moyens ?
Revendiquer le droit à la p(a)resse et oser le Slow Media : dans un monde en mutation accélérée, c’est un double paradoxe que d’affirmer que la lenteur est aujourd’hui une urgence.
Car la presse est sous pression de deux côtés : tension d’un monde qui s’accélère sans cesse et torsion d’une économie toujours plus orientée vers des modèles à profitabilité de court terme.
D’un côté, jamais l’information du monde entier n’a été aussi accessible, et chacun s’en sent à la fois porteur et concerné.
Accessible, mais noyée dans toujours plus d’informations concurrentes, et forcément raccourcie, tant la manie du zapping permanent et le réflexe de l’hypertexte changent en profondeur les habitudes de lecture ou d’écoute.
Accessible, mais donc dépouillée de toute personnalité, pour une information qu’il s’agit avant tout, pour le journaliste, de transmettre et de faire repérer, au détriment d’une mise en perspective. Une information qui, ainsi calibrée, se confond de plus en plus avec un exercice de communication…
D’un autre côté, les contraintes financières et le manque de visibilité de moyen terme pour les décisions de gestion transforment les entreprises de presse en entreprises qui font de la presse. Le travail du journaliste devient alors un « produit » qu’il convient de pouvoir placer, monnayer si possible, et à court terme, la « valorisation » de l’article ou de l’émission étant réduite à une « monétarisation ».
La situation de la presse est d’autant plus délicate que ces deux phénomènes se renforcent l’un l’autre, une information courte et impersonnelle étant plus facile à répliquer, à transférer, à préparer, à acheter, à vendre. Le journal, la radio, la télé d’un monde moderne se veulent rapides, au risque de la frénésie, se veulent profitables avant même de penser leur projet. Ils ne sont pourtant, trop souvent, ni informatifs, ni rentables.
« Des reportages à déguster plutôt qu’à avaler »
La presse, condamnée ? Mais la force d’un projet, c’est la résistance aux pressions. Et face à cette double pression, un autre tempo s’impose, à l’image, peut-être, du retour du respect des saisons et des circuits courts pour l’agriculture et la cuisine.
La « breaking news » a son importance, mais elle n’est ni l’alpha ni l’oméga de la presse. La presse, et ceux à qui elle parle, méritent des sujets qui ont mariné avant d’être traités, des enquêtes qui ont mijoté avant d’être servies, des reportages à déguster plutôt qu’à avaler. Certes, la lenteur n’a pas bonne presse, et surtout pas dans le monde de la presse qui reflète la société en même temps qu’il la façonne. Mais nous affirmons que c’est possible. Un autre tempo. Des journalistes qui préparent leur article pour des lecteurs/auditeurs qui le savourent. Ambition de ne pas reléguer, à quelques rubriques en fin de journal, l’analyse, le recul, d’un journalisme fait en prenant le temps pour des lecteurs ou auditeurs prenant le temps.
Autre rapport à l’information. Autre rapport, aussi, à la rentabilité : une entreprise de presse doit être viable pour vivre et se développer, mais faut-il confondre rentabilité générale d’un projet global et profitabilité annuelle des fonds qui y sont investis ? Il y a l’espace, à côté des conglomérats produisant des contenus « journalistiques » désincarnés à destination de consommateurs plus ou moins avertis, pour des projets basés sur un rapport différent à l’information, rédigée en circuit court par des journalistes qui s’adressent au lecteur, qu’ils connaissent, parce qu’ils en sont.
Alors, si on osait dire « stop » ?
Si on osait revendiquer le droit de la presse à la paresse ?
Si on osait dire qu’il y a de la place, et même qu’il faut qu’il existe, des « slow media » ?
le Ravi
Et aussi, pour lire en ligne notre grosse enquête « ralentissons », c’est par ici.