On expulse aussi les enfants et les personnes âgées…
On expulse aussi les enfant et les personnes âgées »
Témoignage de Floriane Hinkel, juriste à l’Ampil 13 (action méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement)
« Comme bon nombre de ménages menacés d’expulsion ne se présentaient pas au tribunal, souvent par crainte de ne pas savoir comment se défendre, on a mis en place, au sein de ce dernier, une antenne de prévention des expulsions locatives. Depuis 1999, tous les jeudis après-midi, une conseillère en économie sociale et familiale, un avocat et un juriste reçoivent une petite dizaine de personnes pour faire le point sur leur situation, les orienter vers les dispositifs d’aide et les épauler avant de passer au tribunal. Si elles ont droit à l’aide juridictionnelle, on les oriente vers un avocat spécialisé. Sinon, elles peuvent, via leur assurance, bénéficier d’une protection juridique. Et si ce n’est pas le cas, nous rédigeons nous-mêmes le dossier qui sera présenté au juge. Après l’audience, on fait le point avec les familles pour qu’elles comprennent la décision et pour les accompagner. Ce qui est capital, c’est d’intervenir le plus tôt possible. Mais ce n’est pas facile. Si 93 % des procédures sont liées à des impayés, la dette des ménages est, en moyenne, de 3 667 euros, la problématique du logement se cumulant en général avec d’autres… Notre but ? Eviter à tout prix l’expulsion et obtenir un échéancier pour que le bail ne soit pas résilié et que la dette soit remboursée. Si elle est trop importante, on cherche une solution de relogement dans le parc social. On a une véritable vision d’ensemble car on intervient jusqu’au bout de la procédure, lorsqu’est demandé le concours de la force publique. On cherche alors à établir un diagnostic précis de la situation des ménages pour la préfecture. S’il y a eu des démarches pour un relogement ou une partie de la dette remboursée, on peut obtenir un sursis. Sur Marseille, la situation est dramatique. 76 % des procédures concernent le parc privé et les arrondissements les plus concernés, sont l’hyper-centre et les quartiers Nord. Le plus notable ? Il y a de plus en plus de personnes âgées et de salariés. Les situations les plus dramatiques ? C’est lorsque la dette est très importante – jusqu’à 45 000 euros – et qu’il y a des enfants au milieu. Or, contrairement à ce que l’on croit, héberger une personne âgée, avoir des enfants en bas âge, ça ne protège pas d’une expulsion. Sur Marseille, 150 enfants risquent d’être mis à la rue. »
« Il faut mettre une pression financière sur la préfecture »
Témoignage de Me Sophie Sémériva, avocate à Marseille, spécialiste du Dalo
« Avec d’autres confrères qui s’occupent, comme mon cabinet, de l’habitat indigne et du droit au logement opposable (Dalo), on va lancer une procédure d’envergure, des recours indemnitaires massifs, afin de mettre une pression financière sur la préfecture et qu’elle prenne enfin ses responsabilités. Car, quand on l’écoute, tout va très bien. Alors que la réalité est tout autre. Le droit au logement opposable est devenu le guichet de la dernière chance pour les personnes les plus en difficulté. Et naturellement, pour celles menacées d’expulsion. Or, même si vous êtes prioritaire, même si la préfecture vous fait une proposition de relogement, ceux qui ont le dernier mot, ce sont les bailleurs sociaux. Trop souvent, de ces locataires en difficulté, ils n’en veulent pas. Alors, comme il est illégal de rejeter la candidature de quelqu’un au motif qu’il a une dette locative, ils font état d’une pièce qui manque. Comme une quittance, par exemple… Il y a une véritable opacité du côté des commissions d’attribution des logements sociaux. Normalement, les décisions de rejet devraient être motivées par écrit. Ce qui n’est jamais fait. En outre, comment ne pas déplorer le fait que les logements proposés aux personnes prioritaires au titre du Dalo font partie, en général, du parc le plus ancien, le plus dégradé, dans des cités qui abritent déjà de nombreuses personnes en difficulté ? A un moment, se pose la question de la mixité sociale. Là, on ne fait qu’ajouter de la misère à la misère. Il ne faut pas s’étonner que des personnes refusent de telles propositions… et voient leur dossier perdre son caractère prioritaire ! De fait, le mal-logement, ce sont des affaires qui sont humainement difficiles. Car on pourrait presque dresser un portrait-robot des personnes mal-logées : des femmes isolées qui élèvent seules leurs enfants, qui attendent depuis des années un logement social en vivant dans un taudis. Certes, il y a une prise de conscience sur le front du logement indigne, avec des marchands de sommeil poursuivis et condamnés, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Même la ville de Marseille tente d’y remédier. Mais elle hésite souvent à prendre un arrêté de péril car, en cas de défaillance du propriétaire, ce serait à elle de reloger. En tant qu’avocat, on propose souvent aux locataires de se retourner contre les propriétaires mais ils ne le font que rarement, par peur des représailles. Ce qu’ils veulent, avant tout, c’est partir. Le problème, c’est que ça pérennise le système parce que l’appartement sera reloué dans le même état et au même prix puisqu’il y a la Caf. D’une certaine manière, même les taudis bénéficient d’une subvention publique. Reste qu’on ne peut y mettre un terme, sans quoi tout le monde finira à la rue… »
« Agir le plus tôt possible »
Témoignage de Nicole Rossi, chef du service de lutte contre les exclusions au Conseil Général des Bouches-du-Rhône.
« Même si, pour empêcher une expulsion, il faut se battre jusqu’au bout de la procédure, la prévention de l’expulsion doit commencer dès la signature du bail. Or, malgré la multiplicité des acteurs qui se battent sur le terrain du mal-logement et qui peuvent intervenir à chacune des étapes de la procédure, malgré toute l’énergie déployée, les personnes sont toujours aussi démunies, isolées. Assistante sociale de formation, je sais qu’on ne déballe pas sa vie comme ça face à un inconnu. Et, trop souvent, les gens se disent que les aides, ce n’est pas pour eux. De plus, les problèmes liés au logement font partie d’un tableau plus général qui mêle endettement, précarité et isolement. Mais je ne cesse de me demander : comment faire passer l’info ? Même la plus basique, sur le fait qu’il faut chaque mois payer son loyer, même si le propriétaire ne fait pas les travaux nécessaires. Au sein de la direction de la cohésion sociale, mon service est à l’interface entre les maisons départementales de la solidarité qui interviennent auprès des familles, les acteurs institutionnels et les associations qui sont là pour les épauler. Des communes (comme autour de l’étang de Berre) ont mis en place des dispositifs de prévention des expulsions sans attendre l’évolution actuelle qui les y incite. Mais, sur le front du logement, la situation est extrêmement tendue. Comme dans le 3ème, à Marseille, où se mêlent manque de logements sociaux et habitat dégradé. Vu les listes d’attente pour l’obtention d’un logement social, une partie du parc privé fait office de parc social. Et puis, la crise est là. Les gens ont de plus en plus de mal à faire face. En atteste le profil des personnes concernées par les expulsions. En 2011, sur 1 800 ménages, plus d’un tiers sont bénéficiaires du RSA et 30 % sont salariés. Autre inquiétude : la part croissante des personnes âgées. Voilà pourquoi, outre l’importance de mieux coordonner l’ensemble des dispositifs et des acteurs institutionnels et associatifs, au-delà de la nécessité de renforcer la construction de logement, ce qui compte, c’est d’agir le plus tôt possible, dès les premiers impayés. »
« Face à la précarité, on ne peut rester insensible »
Un entretien avec Marie-Dominique Bourelly, membre de la direction départementale de la cohésion sociale à la préfecture des Bouches-du-Rhône.
Quelle est le rôle de la préfecture en matière d’expulsion ? Après enquêtes sociales et de police diligentées au moment de la réquisition de la force publique, c’est l’exécution des décisions de justice. Pour l’octroi du concours de la force publique, il faut prendre en compte la situation du locataire mais aussi du propriétaire qui, en cas d’impayés, peut parfois se retrouver dans la même situation que son locataire. Précarité économique se conjugue souvent à des fragilités personnelles. Et face à l’extrême précarité, on ne peut rester insensible. Voilà pourquoi, avant d’accorder le concours de la force publique, on s’assure que toutes les mesures de prévention ont pu être mises en place.
Quel bilan tirer de 2012 ? Après deux années où les assignations et les réquisitions de la force publique ont atteint des niveaux records, le nombre d’expulsions effectives (443) n’a représenté que 12 % du nombre d’assignations (3 596) et 24,5 % des demandes de concours de la force publique (1 806). Alors que les difficultés des ménages pour payer leur loyer se sont accrues (les dettes de 10 à 15 000 euros étant de moins en moins rares), le taux d’octroi et d’exécution du concours de la force publique est moins élevé à Marseille que dans les autres grandes villes. L’important travail de prévention fait à toutes les étapes de la procédure explique cela.
C’est-à-dire ? Conformément aux instructions ministérielles, le préfet et le président du Conseil général ont créé, en 2011, la commission de coordination des actions de prévention des expulsions afin d’optimiser le dispositif de prévention, notamment en intervenant au plus tôt, avant que les dettes ne deviennent trop importantes. En outre, 26 commissions locales de prévention qui examinent les dossiers ont été créées dans le département. Mais tout le territoire n’est pas couvert.
Quelles solutions mettre en place ? Certaines ne dépendent pas immédiatement du Préfet, comme la construction de logements sociaux. De son côté, le Préfet utilise pleinement son contingent de logements sociaux pour reloger les ménages reconnus prioritaires au titre du Droit au logement opposable (Dalo). En 2012, 6 153 recours Dalo ont été déposés, 5 888 ont été examinés et 1 855 ont été reconnus prioritaires, une majorité d’entre eux, 1 142 ayant été relogés.
Entretiens réalisés par Sébastien Boistel.
Retrouvez chez les marchands de journaux dans le mensuel le Ravi, daté mars 2013 , le cahier spécial « le Ravi expulsé de la crèche » co-réalisé avec la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées.