Moi, Bernard Tapie, « faiseur de roi du Sud »
Ah, pour le coup des journaux du Sud, Marcel serait fier de moi, pas de doute ! Marcel Loichot, quoi, ça ne vous dit rien ? Le pancapitalisme ? Rien non plus ? Enfin, Marcel, polytechnicien, conseiller de Charles de Gaulle, l’un des premiers en France dans les années 60 a avoir monté un cabinet de consultants, la Sema, spécialisée dans le redressement d’entreprises ? Ça ne vous dit toujours rien ? Ah, c’est que les grands hommes, ceux qui marquent l’Histoire, sont rarement connus du grand public. En tout cas, Marcel, c’est lui qui m’a tout appris sur le monde des affaires. Moi, fils d’ouvrier communiste, je m’étais déjà essayé à la formule 3000, à la chanson et au porte à porte. Rien de bien fameux. Marcel, lui, m’a appris les bases du métier de buissnesman.
Un, pointer une boite en difficulté, deux, renégocier ses dettes, trois dégraisser, quatre trouver de nouveaux débouchés, cinq revendre avec un joli bénéfice. C’est ce que j’ai fait pendant 20 ans avec Wonder, la Vie Claire, Look ou Terraillon. Pour les journaux du Groupe Hersant Médias (entre autres, La Provence, Var Matin, Nice Matin, Corse Matin), que j’ai racheté le mois dernier, j’ai appliqué pour l’instant les points 1 et 2. Les journaux du Sud présentaient un déficit cumulé de 220 millions d’euros, j’ai réussi à convaincre les banques de passer l’éponge contre 50 millions d’euros. Et ce, malgré Montebourg qui a tout fait pour favoriser l’offre du Belge Rossel (1). Ah, ça, c’est pas un tour de passe-passe permis au premier venu. Faut des relations, de la persuasion, une grande gueule et des dossiers bien fournis sur un maximum de gens au pouvoir.
Bon, évidemment, ces 50 millions d’euros viennent de l’Etat qui m’a allongé 220 millions d’euros dans l’affaire du Crédit Lyonnais en 2008, du temps de Sarko et de Lagarde. Alors certains tentent de remettre en cause cette vente (2). C’est qu’ils ont bien les pétoches de revoir Nanard les régionaux, 18 mois avant les municipales, à la tête du premier groupe de presse du sud est. Tremblez, Gaudin, Falco, Roig, Estrosi, Ciotti, Mennucci, Carlotti, Guérini ! Tapie est de retour dans le sud et par la grande porte qui plus est ! Fini la taule, la télé, le théâtre, le cinéma, toutes ces conneries qui m’ont occupé pendant les 10 ans de ma traversée du désert ! Avec les journaux, je reviens en première division, et je vise la ligue des champions des médias. Ce n’est pas parce que je viens d’avoir 70 ans que j’ai perdu la niaque et les ambitions. Au contraire, je suis blindé de soif de vengeance et j’ai plus de testostérone que Lance Armstrong !
Je vais te les bouffer, moi, tous ces gratte-papiers frustrés ! Qu’est-ce que je les déteste, ces journalistes avec leur déontologie et leur soif de scoop ! Maintenant, je vais pouvoir savourer ma vengeance. Ils vont commencer par signer une charte de bonne conduite qui ne sert à rien mais c’est juste pour leur mettre la pression et repérer les vrais casse-couilles. Et je viens de demander à mon ami Patrick Le Lay, l’ex-boss de TF1, de réaliser un audit, mais là aussi, c’est juste pour la forme (3). Car je n’ai pas besoin de conseil pour savoir ce qu’il faut faire. J’ai le flair pour cela. Je sens la thune me monter au nez, et il y a bien longtemps que cela n’était plus arrivé. On va se séparer des journaux des Antilles, fusionner les rédactions des trois quotidiens, racheter LCM et les chaînes locales à Toulon et Nice, investir dans internet, fermer une ou deux imprimeries, lancer une branche événementiel pour faire un vrai groupe de média. Tiens, je verrais bien mon fils Stéphane en Directeur général. Ou alors à la tête de l’OM, quand la mère Dreyfus aura viré Labrune. Si elle a le sens de la famille, c’est à mon fils qu’elle fera appel. Ce serait une forme de dédommagement symbolique après ce que son ex-mari m’a fait subir avec le rachat d’Adidas (4) !
Bref, dans tous les cas, pour les journaux, faudra réduire les coûts, on virera quelques journaleux qui pourront aller se recaser dans les collectivités locales. Voilà mon plan qui devrait prendre un an ou deux. Ça, c’est pour la façade du bussiness. Mais le vrai pouvoir est évidemment symbolique. C’est Mitterrand, mon autre mentor, qui m’a appris toutes les ruses de la politique. Et je sais aujourd’hui que le vrai pouvoir n’est pas d’être élu, mais de faire élire. C’est la prison et la faillite qui m’ont fait comprendre ça. On apprends toujours plus de ses erreurs que de ses succès.
Prendre le contrôle de la presse dans le sud ne signifie pas que je vais me présenter à Marseille ou à Nice. Mais aucun candidat aux municipales ne pourra être élu sans moi. Et là, je vais enfin pouvoir assouvir ma vengeance en voyant tous ces politicards qui m’ont si longtemps craché à la gueule venir me lécher les bottes dans l’espoir que mes journaux les soutiennent. Quoi, la liberté de la presse ? Vous vous foutez de ma gueule ? La presse n’est plus économiquement viable, sa seule raison de vivre, c’est sa capacité à influer. La presse n’est qu’un organe de propagande au service de quelques uns. Et le Ravi ? C’est quoi ? Un journal indépendant ? Bah, comme dirait Jacquo, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.
Stéphane Sarpaux
Libérons la presse ! Face à Tapie, contre l’affairisme, pour la liberté de la presse, le Ravi, Mediapart et Marsactu, ont organisé le 11 février une soirée publique à La Criée. Le théâtre national de Marseille a fait salle comble. Les 800 places n’ont pas pu accueillir tout le public. [La séance de rattrapage avec la vidéo intégrale de la soirée, c’est ici.->http://www.leravi.org/spip.php?article1446]