La « fac » privée rend malade l’éducation nationale
Jadis, c’était un hôpital bien connu des Varois. Aujourd’hui, à deux pas de l’Université du Sud Toulon Var (USTV) de La Garde, un curieux panneau planté dans sa pelouse indique : « Université Fernando Pessoa ». Au Portugal, bien qu’elle n’ait pas très bonne réputation auprès des professionnels de santé, l’Université Pessoa est reconnue par le gouvernement lusitanien depuis 1996 et possède trois facultés. « L’université, c’est l’industrie de la connaissance, explique Salvato Trigo, son mystérieux fondateur. Cette connaissance, il faut la vendre à bon prix. » Pour preuve : 7500 euros l’année de formation en orthophonie, 9500 euros en pharmacie ou en odontologie, 100 euros de frais de dossier…
Numérus clausus contourné
L’antenne varoise de l’université portugaise a ouvert ses portes le 12 novembre 2012. « Janvier est une deuxième rentrée. Nous accueillons les jeunes en échec dans les cursus classiques. Nous avons déjà 500 demandes d’inscription pour 2013 » affirme le responsable de l’antenne locale, le « vice-président » Bruno Ravaz. L’ex-conseiller régional UDF-RPR Ravaz cumule les casquettes. Ancien candidat Modem à la mairie de Toulon en 2008 (4,36 %), il est toujours professeur de droit au sein de l’USTV. C’est aussi l’ancien président de cette université publique ! Stéphanie (1), jeune étudiante, a raté sa première année dans le cursus classique français. Fraîchement inscrite à l’antenne varoise Pessoa, elle explique : « C’est une chance pour moi cette université privée portugaise, je ne suis pas obligée de m’inscrire en Roumanie… »
« L’Université privée Pessoa détourne le système français des formations de santé. Ces cursus sont normalement soumis à une régulation du nombre d’étudiants en lien avec les besoins de la profession » fustigent de concert la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF). En France, l’examen « première année commune aux études de santé » régule le nombre d’étudiants admis à être formés médecins. Afin de le contourner, de nombreux étudiants français partent déjà faire leurs études de médecine, notamment en Belgique ou en Roumanie. Grâce à l’accord européen dit du « processus de Bologne », il leur est ensuite possible de venir exercer leur métier en France. Cette fois, c’est donc une université étrangère qui s’installe directement sur le sol français. Bruno Ravaz en défend le principe : « Le système est hypocrite. Les étudiants français qui ne réussissent pas les concours de pharma ou de kiné se ruent déjà en Belgique, où la sélection est moins sévère. Que je sache, on ne fait pas non plus la guerre aux médecins étrangers qui viennent exercer en France… »
Une histoire de gros sous
L’équipe pédagogique compte notamment au titre de « président du conseil scientifique » le neuropsychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik. « Ce n’est qu’une affaire de gros sous et d’égos démesurés », tranche anonymement un professeur de l’USTV fin connaisseur du milieu. Toujours est-il que l’antenne tricolore de l’université Pessoa n’est pas du goût de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso. Elle a porté plainte pour « usage abusif du terme université » ainsi que pour « non-respect des règles du régime de déclaration préalable ». Le projet paye aujourd’hui sa déclaration incomplète auprès des instances légales. Le juriste Bruno Ravaz ayant vraisemblablement omis d’indiquer le nom et le curriculum vitae de tous les professeurs ainsi que la liste descriptive complète des équipements, outils et caractéristiques des laboratoires, bibliothèques et jardin médicinal…
Parmi les professeurs à la recherche d’un nouveau salaire se trouve Jean Bombin, docteur en chirurgie dentaire et professeur en fac de médecine. Cet homme est pourtant déjà très affairé. Jean Bombin est en effet conseiller général du Var (UMP) depuis 2001 et a été réélu en 2008. Il est aussi président de la commission « enseignement supérieur » du CG 83. Un authentique conflit d’intérêt ! Le Centre hospitalier intercommunal (CHI) avait initialement accepté de louer ses locaux à la filiale de l’université Pessoa dans son hôpital désaffecté dans le cadre de cours « de sciences humaines ». Le CHI a décidé de rompre la convention précaire d’un an. La guerre judiciaire entre l’université publique française et cette antenne privée étrangère ne fait que commencer…
Jean-Baptiste Malet