Le peuple élu en ballotage
Opération « un bateau pour Gaza » : le 18 juin 2011, des centaines de personnes font la fête sur le Vieux-Port. Quand soudain, surgit la Ligue de défense juive. La réaction est immédiate et la bagarre aussi brève que violente. Pourtant, nous dit-on au sein de la communauté juive marseillaise, « ici, il n’y a ni Bétar, ni LDJ (1). Ces gens viennent de Paris ». Un fin connaisseur ajoutant : « Pour qu’ils prospèrent, il faut un leader et du laisser-faire. Ici, on réagirait immédiatement. »
Reste qu’à Marseille, il n’y a pas que le festival « Regard sur le cinéma israélien » qui fasse réagir. En avril, une manifestation a eu lieu quand le conseil municipal a fêté les 64 ans d’Israël. La présence sur la liste de Michel Vauzelle aux régionales de Jocelyn Zeitoun, président de l’association pour le bien-être du soldat israélien, a fait gloser. Comme le fait qu’Avi Assouly, le suppléant de Marie-Arlette Carlotti, ait été soldat de Tsahal. Bref, malgré « Marseille espérance » – une officine de la mairie pour désamorcer les tensions entre communautés – il est encore des sujets qui fâchent.
Délicat pourtant de conjuguer « juif » et « intégrisme ». « Faire à tout prix le parallèle, c’est une erreur, juge Jean-Jacques Zenou, de Radio JM. Vous avez ici une communauté assez organisée, des gens plus ou moins religieux, des orthodoxes que vous ne croiserez pas en boîte de nuit mais il n’y a pas de radicalité posant des problèmes d’intégration dans la République. » Et Hagay Sobol de renchérir : « Sur les 70 000 juifs marseillais, seuls 10 000 mangent casher… » Cet ancien de « Marseille Espérance », responsable de l’association « Tous enfants d’Abraham », préfère mettre en avant « ce qui rassemble plutôt que ce qui divise ».
Et Pierre Stambul, de l’Union française des juifs pour la paix, d’expliquer : « Ici, à la radio, il y a des émissions où juifs et musulmans dialoguent ensemble. On a même fait venir dans les quartiers nord Salah Hamouri », un franco-palestinien emprisonné plusieurs années en Israël. Reste qu’un membre de l’Association pour les valeurs éthiques de la communauté s’interroge : « Est-ce normal de pratiquer sa religion sous protection policière ? » En avril, à Marseille, un étudiant a agressé une famille au sortir de la synagogue. Soupir de Jean-Jacques Zenou : « En ce moment, on doit prendre nos précautions. »
Bruno Benjamin, du Consistoire, confirme : « La communauté est inquiète. S’il n’y a pas de repli, une frange vit un peu en vase clos. Mais, globalement, à Marseille, ça se passe mieux qu’ailleurs. Cela tient à l’histoire. Et à l’attention que portent les autorités aux communautés. »
La communauté juive pesant en Paca 150 000 personnes, il n’est pas une fête où l’on ne trouve l’ensemble de la classe politique. Mais, en 2011, du fait de ses ennuis judiciaires (notamment, modification de scène de crime), Zvi Ammar, le président du Consistoire de Marseille, avait été persona non grata à la table d’honneur du Crif, le Conseil représentatif des institutions juives de France : alors, lui et son second (ainsi que le grand rabbin) ont boudé le dîner. Depuis, Bruno Benjamin, en attendant que son patron soit « blanchi », assure l’intérim… et que ces histoires « n’intéressent personne ». Faux, rétorque Hagay Sobol, qui n’a échoué que de 36 voix face à Ammar : « Avant, l’élection pour le Consistoire n’intéressait que 800 personnes. Avec notre liste, plus de 8000 personnes se sont déplacées ! »
Chez les loubavitch, on (2) nous assure « ne pas se mêler de politique. La seule loi qui nous importe, c’est la Torah. Mais nos relations avec les autorités sont excellentes ». Il faut dire que, pour ces ultra-orthodoxes présents à Marseille et à Nice, « nous vivons des temps obscurs qu’il faut combattre ni avec le poing, ni avec la main mais avec la lumière ». Et quelques « mesures de sécurité. Mais pas question de cacher le fait d’être juif ». Ni, nous affirme-t-on, de se replier sur soi.
Toutefois, cette communauté gère crèches, maisons de retraite, écoles et colonies de vacances, où, reconnaît-on, les personnes extérieures sont rares : « Pourquoi s’imposer, à moins de vouloir se convertir, nos prières, notre régime alimentaire ? » Alors, en fustigeant au passage le traitement médiatique du Proche-Orient, on comprend qu’il puisse y avoir « en Israël, comme ailleurs, des bus non-mixtes. Chacun doit rester à sa place. Et il n’est pas de plus grand bonheur que de garder les barrières ». A l’entrée de la synagogue, deux affiches : l’une, de la communauté, sur le prêt de la robe de mariée, l’autre, du « service de protection de la communauté juive », sur les colis suspects…
Sébastien Boistel
« Les fous de Dieu », une enquête du mensuel le Ravi co-produite avec Golias magazine, « les empêcheurs de croire en rond ».