Presse : La diffusion au bord de l’explosion
Il ne fait pas beaucoup de bruit. Il s’agit pourtant de l’un des plus grands plans sociaux du moment. 1200 salariés sur les 2500 que compte Presstalis (1) risquent de se retrouver sur le carreau, si le plan de restructuration, approuvé par l’Etat, est mené à son terme. Impensable pour le puissant syndicat du livre CGT-SGLCE qui, outre la casse sociale, dénonce la fin du pluralisme de la presse hérité du Conseil national de la résistance et traduit dans la loi Bichet de 1947. Son principe veut que tout titre de presse, du mastodonte à la feuille de choux au tirage confidentiel, soit vendu chez les diffuseurs de presse. Cela grâce à une coopérative d’éditeurs finançant la distribution au prorata de leurs moyens financiers.
Un secteur en chute libre
Mais un constat s’impose, le système ne fonctionne plus. Les ventes ont chuté de 25 % depuis quatre ans et devraient en faire autant dans les quatre prochaines années. Presstalis perd environ deux millions d’euros par mois. Les kiosquiers sont plus que jamais exsangues. Rien que cette année, selon l’Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP), 1000 diffuseurs ont mis la clé sous la porte.
Au sommet de la chaîne de distribution, il y a donc les sociétés coopératives de presse. Au côté de Presstalis, il existe les MLP (Messageries lyonnaises de presse), spécialisées dans la distribution de la presse magazine et, surtout, sans ouvriers du livre et leur statut avantageux. Financées par les éditeurs, Presstalis et les MLP se chargent de grouper les titres pour les envoyer chez les dépositaires. Il en existe de trois sortes : les Sad (Sociétés d’agence et de diffusion) sont des filiales de Presstalis. Les dépôts Soprocom (Société pour la promotion et la communication) sont aussi gérés par Presstalis sans lui appartenir. Enfin, il existe quelques dépôts indépendants. En bout de chaîne, on trouve les points de vente comme les maisons de la presse. Les kiosquiers se qualifient souvent eux-mêmes de « dernière roue du carrosse ». Certains d’entre eux peinent à toucher un Smic pour des heures de travail qu’ils ne comptent plus, en gérant des stocks énormes avec à la clé des marges minimes.
Service public
« S’il n’y a plus personne sur l’autoroute, il faut réduire les voies, scande Christian Andrieux, responsable dans la région marseillaise de l’UNDP (Union nationale des diffuseurs de presse). C’est pareil pour la presse. L’urgence, c’est de sauver les diffuseurs car sans eux, il n’y aura plus de journaux. Je comprends que les licenciements soient difficiles à accepter mais des chiffres ne trompent pas : 50 % de pertes en 10 ans, un taux d’invendus de 60 % aujourd’hui contre 40 % il y a 10 ans. » Et ce marchand de journaux dans les quartiers nord de Marseille d’ironiser : « Vous croyez que des titres comme Tracteur magazine se vendent beaucoup chez moi ? Nous sommes favorables à l’assortiment, c’est-à-dire proposer d’abord les titres qui se vendent le mieux dans chaque kiosque. » Pas vraiment un fan de la loi Bichet donc ! Le dirigeant d’un dépôt indépendant de la région préconise une autre piste : repenser le mode de rémunération des kiosquiers. Ils touchent parfois de l’argent qui n’a rien à voir avec leur efficacité commerciale (selon les mètres de linéaire, selon le fait d’exposer en vitrine ou non…). Autre problème : la fraude aux invendus qui plombe les dépôts…
Les ouvriers du livre défendent, eux, un service public de distribution de la presse. Ils réclament une table ronde avec la direction de Presstalis, les éditeurs, les pouvoirs publics et les syndicats afin de tout remettre à plat. Ils s’interrogent aussi sur les aides à la presse, 1,2 milliards d’euros par an. En octobre dernier, le rapport du député PS Michel Françaix a pointé du doigt l’absurdité du système, relevant notamment que les hebdomadaires télévisés captent 20 % des aides postales… « Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la course à la rentabilité, s’étrangle Maxime Picard, délégué CGT-SLGCE à la Sad de Marseille. Certaines tournées sont abandonnées, donc certains diffuseurs ne sont pas livrés. La prochaine étape, c’est de virer les petits titres jugés non rentables. » le Ravi en a fait l’expérience cette année : le dépôt Soprocom de Nîmes (diffusant notre mensuel dans le pays d’Arles) a ainsi décidé de ne plus nous diffuser. « L’objectif de la direction, c’est clairement d’externaliser, de créer une grosse plateforme logistique pour la région, type Géodis, qui gérerait les magazines, souligne encore Maxime Picard. Et nous n’aurions plus que la gestion des quotidiens. A Marseille, les magazines, c’est 70 % de notre activité. »
« Privilégiés »
Les ouvriers du livre sont souvent brocardés comme des privilégiés. « C’est une légende, assure Thierry Guillen, délégué du personnel à la Sad de Toulon. Il y a quelques années, un rapport du cabinet comptable APEX indiquait que les dépôts Soprocom, qui embauchent des ouvriers au statut beaucoup moins avantageux que le nôtre, avaient également de gros soucis financiers. » Et Maxime Picard d’ajouter : « Je gagne environ 2000 euros par mois, j’ai sept semaines de congés payés et je travaille uniquement de nuit. Je ne me considère clairement pas comme un privilégié par rapport aux éditeurs style Dassault, Lagardère, Niel… qui brassent des millions. Il faut que ces mastodontes-là paient pour assurer le futur de la distribution. » Sauf qu’ils auraient plutôt intérêt à ce que tout explose pour développer leur propre réseau de distribution en décidant quels titres proposer : les leur de préférence. Ce qui se fait déjà avec les points de vente Relay dans les gares, propriété d’Hachette (filiale de Lagardère).
« Un service public pourquoi pas, mais c’est aux politiques de prendre une décision, cela ne nous regarde pas, indique un communicant chez Presstalis. Il y a urgence. Si le plan n’est pas vite finalisé, tout le monde coule. » Et c’est plutôt mal parti. Les MLP, à qui on a demandé une participation financière pour combler les coûts dispendieux de la distribution des quotidiens, rechignent à ouvrir leur porte-monnaie. Une difficile négociation s’est aussi engagée sur le partage des dépôts entre les deux messageries. « Le plan de Presstalis est suicidaire, dénonce Michel Salion, responsable de la communication chez MLP. Il attend des éditeurs, qui perdent déjà de l’argent, de payer encore plus cher pour la distribution de leur titre. Ils devront donc augmenter le prix de vente ou tailler dans les rédactions… » Et si pour assurer le redressement de la distribution de la presse, vous nous faisiez une petite nationalisation partielle Monsieur le ministre Montebourg ?
Clément Chassot
(1) En Paca, il y a 200 ans salariés de Prestaliss. Cette société coopérative a succédé aux NMPP, les Nouvelles messageries de la presse parisienne.