Islamistes, combien de divisions ?
Guerre au Mali, Affaire Merah, caricatures, « cellule » cannoise… Les islamistes sont au cœur du débat public, renvoyant une image galvaudée de l’ensemble de la communauté musulmane.
« Assimilation d’une vingtaine de fous furieux à cinq millions de musulmans », « stigmatisation », « victimisation »… Ces mots reviennent sans cesse dans les bouches des musulmans interrogés lorsqu’on évoque avec eux l’intégrisme musulman et la représentation médiatique qu’il engendre. Même s’ils ne nient pas qu’il existe. « Il est simplement très difficile d’identifier ces extrémistes, explique Khalid Belkadir, le président du Conseil régional du culte musulman (CRCM). Généralement, ils ne viennent pas à la mosquée, pour eux cela relève de la trahison puisque l’Islam pratiqué y serait impur. » Souvent englués dans la violence ou passés par la case prison, pour nombre d’entre eux convertis sur le tas, ces djihadistes utilisent Internet pour intégrer un réseau très mouvant et invisible, ce qui les rend insaisissables, ou presque, pour le commun des mortels.
Françoise Lorcerie, sociologue et politologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) ne connaît pas à ce jour d’études régionales publiées sur le phénomène et son ampleur bien que Paca abrite un musulman français sur cinq (1). « L’intégrisme musulman demeure très marginal mais reste paradoxalement l’objet d’un amalgame constant dans le débat public ce qui se traduit par une fatigue, un mal-être de la communauté toute entière, souligne-t-elle. Par ailleurs, en s’appuyant sur certaines études (1),on constate que le radicalisme musulman n’est pas ou peu contraignant vis-à-vis des pratiques religieuses des populations vivant dans les quartiers difficiles, notamment au niveau du niqab, que la totalité des femmes interrogées revendiquent. Même chose sur l’antisémitisme, on ne remarque pas d’exacerbation du phénomène au sein de cette communauté. »
Le fantasme intégriste
L’intégrisme musulman relèverait-il du fantasme ? « Tout autant que le racisme anti-blanc », ironise le président du CRCM. Mais un fantasme qu’il est tout de même nécessaire de prévenir et de combattre. « De plus en plus de jeunes des quartiers difficiles en quête d’identité se tournent vers la religion à l’âge où l’on est exposé à une grande fragilité, constate Mohamed Abidou, vice-président de l’association du deuxième lieu de prière de Carpentras (84). Il faut dialoguer avec ces jeunes parfois coincés entre leur identité française et celle de leur pays d’origine. On tente d’améliorer leur niveau de langage pour une meilleure intégration, on les pousse au dialogue pour abolir les préjugés. » Le problème résiderait aussi dans la capacité de l’islam français à absorber tous ces jeunes en demande de spiritualité. Et cela requiert une meilleure formation des imams afin que l’accès aux textes coraniques et leurs messages ne soient pas déformés. Même chose pour les aumôniers, trop peu nombreux, dont le rôle est primordial puisque intervenant en milieu carcéral, terreau de la radicalisation. Mais comment rattraper son retard dans une république laïque où les religions doivent prendre leur destin en main ? « Nous partons de rien, il manque des lieux de culte, il est pratiquement impossible d’organiser un mariage religieux traditionnel, bref de vivre simplement sa religion », regrette Nasséra Benmarnia, ancienne présidente de l’Union des familles musulmanes des Bouches-du-Rhône et fondatrice du festival L’Aïd dans la cité. Elle superpose ce déficit au défaut de représentativité de la communauté au niveau national : « Le CFCM ne représente pas la majorité silencieuse, impose des images venues du pouvoir et non de la base, ce qui fausse aussi notre image. »
Vieille rengaine, mais toujours autant d’actualité, le contexte économique et social de la majorité des musulmans qui, entre moult maux, provoque un communautarisme subi. « Les quartiers ont été abandonnés par les politiques. Aujourd’hui, les gens sont regroupés selon leur origine dans tel ou tel quartier, comment voulez-vous s’intégrer dans ces conditions », s’insurge NasséraBenmarnia. Le communautarisme n’est a contrario pas tout le temps là où on croit le voir. « Je comprends ces inquiétudes, je me pose des questions, confesse MohamedBensaada, président de l’association marseillaise Quartiers nord-quartiers forts. Mais les plus grands communautaristes sont ceux qui l’alimentent à des fins politiques, qui établissent des relations clientélistes à l’approche de chaque élection et qui au final instrumentalisent la communauté. » « La situation contemporaine est aberrante, l’islam côtoie la France depuis plus d’un siècle. Et si on prenait les choses avec sérénité, sur 20 ou 30 ans, sans en faire un enjeu politique ? », implore NasséraBenmarnia. Et si…
Clément Chassot