Capharnaüm à la CAF 13
« Il y a eu des détournements de fonds », assène la trésorière du comité d’entreprise de la Caisse d’allocations familiales (Caf) des Bouches-du-Rhône, Laurence Reynaud. Cette info, plutôt explosive, est pourtant passée inaperçue. D’ailleurs, de quoi parle cette élue CGT ? De ces salauds de pauvres qui fraudent pour toucher le RSA ? Ou d’une sombre histoire que l’on n’évoque, au sein de l’organisme, qu’à mots couverts ?
Monique Omiro, patronne de FO à la Caf 13, se contient à peine : « Je ne répondrai à aucune interview sur ce sujet et, en tant que secrétaire du Comité d’entreprise de la CAF 13, je ne souhaite pas que la moindre information sur la situation du CE soit divulguée. Nous sommes tenus par le secret professionnel et nos tracts ne sont qu’à usage interne. » Las, même le blog de FO à la CAF 13 évoque pourtant, au vu et au su de tous, cette affaire qui fait tache !
D’après un audit financier réalisé l’an dernier par le cabinet Adexi, au 30 juin 2010, le CE de la Caf 13 affichait un déficit de « 200 000 euros dont 40 000 euros de factures non honorées faute de provision suffisante ». En conséquence, l’organisme a subi de la part de l’Urssaf un « redressement » de 271 744 euros ! En cause ? D’après la CGT, « le clientélisme avéré » pratiqué par la précédente équipe, « l’opacité dans la gestion quotidienne des activités », « les avantages dont certains ont profité pendant des années » (notamment des « voyages gratuits payés par le CE »), les « prêts octroyés sans que ces derniers soient mis en recouvrement »…
Voyages gratuits
En ligne de mire : la gestion, jusqu’en juin 2010, par des anciens de FO passés à l’Unsa. « Fin 2009, la commission de contrôle avait relevé un certain nombre d’irrégularités, explique Laurence Reynaud. Voilà pourquoi, en 2010, quand nous avons découvert la situation, nous avons demandé un audit qui a révélé, outre une absence de respect des règles de comptabilité, un manque de rigueur dans le suivi des activités et une gestion clientéliste. »
Ainsi, le CE de la CAF 13 aura dépensé 115 000 euros pour ses « voyages » alors que seuls 90 000 euros étaient prévus. Idem pour les « randonnées » (31 000 euros dépensés contre 17 000 prévus) ou les « sorties à thème » (presque 120 000 euros, soit le double de ce qui était prévu)… « Pour les voyages, l’ancienne équipe du CE travaillait sur la base des inscriptions et non sur celle du nombre de personnes ayant effectivement bénéficié, en le payant, du séjour », déplore la trésorière. D’où ces écarts. Mais aussi des tarifs variant d’une personne à une autre sur un même séjour, certains ayant eu la chance de voyager… gratuitement !
De fait, pour la CGT, la frontière entre mauvaise gestion et clientélisme est ténue. Ainsi, l’audit a pointé « le non-respect du montant maximum que le CE est susceptible de prêter », ou « le non-respect du délai de douze mois entre l’octroi de deux prêts », une personne s’étant vu accordés, entre 2007 et 2009, « cinq prêts pour un montant total de 4880 euros sans que le moindre remboursement soit intervenu ». Depuis, assure-t-on, ces situations ont été « régularisées ».
Au-delà, se pose la question de ce que sont devenues les « sommes en liquide perçues par le CE à cette époque, s’interroge la trésorière. Chaque année, entre 8 et 10 000 euros nous sont réglés en liquide. Des places de cinéma, de concert… Sauf qu’avant, il n’y avait pas de reçu. On ne sait donc pas combien le CE a perçu en liquide ni ce que sont devenues ces sommes ». In fine, c’est à l’aune de l’opacité de cette gestion que l’Urssaf a demandé à la Caf 13 un redressement de près de 300 000 euros ! Un recours a toutefois été formulé auprès du tribunal administratif de la sécurité sociale par le CE « afin que le personnel ne pâtisse pas d’une situation dont il n’est pas responsable », nous dit-on.
OPA du Medef sure la CAF
A l’Unsa, on reste droit dans ses bottes. « Il n’y avait pas d’absence de gestion mais un choix délibéré de faire participer un maximum de collègues de travail à un maximum d’activités. En clair, nous avons toujours préféré rajouter un second car plutôt qu’instaurer un tirage au sort », assénait un tract au lendemain de l’audit. « Cette histoire, c’est avant tout un règlement de comptes entre syndicats, proteste Sandrine Castagno, de l’Unsa. Pour être passés de FO à l’Unsa et avoir réussi à s’emparer du CE, on a subi l’enfer ! Ensuite, sur la gestion, elle était plus « familiale » qu’aujourd’hui. On préférait jouer avec notre découvert que de mettre de l’argent de côté. Quant au clientélisme, si ça veut dire « je te rends service, tu prends ta carte », tous les syndicats le pratiquent ! » Elle reconnaît malgré tout qu’il y a eu un « souci » avec l’ancien secrétaire du CE : « On a découvert certaines pratiques. Mais il n’y a pas eu de détournement de fonds. Et puis, l’erreur est humaine. Quant au collègue, depuis, il est parti en retraite… » (1)
Pour Valérie Marque, administratrice CGT au conseil d’administration de la Caf, « il est urgent de faire toute la lumière sur cette histoire. Car cela jette le discrédit sur une institution indispensable pour les familles. Dans le département où il y a le plus d’allocataires du RSA, sa gestion et ceux qui y travaillent doivent être irréprochables ». D’autant que le contexte est tendu. Fin novembre se sont réunis à Marseille, au parc Chanot, les présidents des CAF de toute la France pour discuter du contrat d’objectifs et de gestion (COG) pour les trois ans à venir. A cette occasion, FO, la CGT, la CGC ont appelé à la grève, faisant un bilan désastreux de ce qui se révèle être un véritable corset.
En trois ans, comme l’a reconnu le ministère de la Famille, plus de mille postes ont été supprimés. D’où une gestion à flux tendu. Aggravée par des budgets de plus en plus comprimés et des fermetures d’antennes. « Ça a commencé en été et cela s’est étendu à tous les congés, nous expliquent des salariés en grève. Officiellement, c’est pour rattraper notre retard dans le traitement des dossiers. Sauf que lorsqu’on rouvre, l’afflux est tel qu’il est impossible de faire face ! » Dans les Bouches-du-Rhône, le délai moyen de traitement d’un dossier est de près de trois mois, 70 000 d’entre eux étant encore en souffrance…
De surcroît, dans le département, la situation est encore aggravée par la paralysie du conseil d’administration de la Caf 13. Si, pour Monique Omiro de FO, « il n’y a aucun problème », cela n’a pas empêché son président, Sylvain Ferrara, lui aussi encarté à FO, de démissionner, « pour raison personnelle », à la veille du grand raout au parc Chanot ! (2) Il faut dire que, depuis son élection en 2011, avec le soutien du patronat, à la tête de l’institution, celle-ci est le théâtre d’une guerre larvée, dénoncée, entre autres, par la CGT, la CFDT ou encore l’Union départementale des associations familiales (Udaf).
D’après Valérie Marque, de la CGT, cette ambiance délétère est le résultat d’une véritable « Opa du Medef sur la Caf ». Depuis peu, en effet, le patronat fait un retour en force dans les organismes paritaires. Objectif ? « Insuffler des méthodes de gestion plus rigoureuses », « prôner une diminution du nombre des Caf sur le territoire », assène l’Upe 13, ainsi qu’une « lutte efficace contre les fraudes ».
Le départ de Ferrara va-t-il mettre fin à la paralysie ? Pas sûr : « Qu’il démissionne maintenant ne relève pas du hasard, commente Anne-Marie Meynard, de la CGT. Mais l’intérim va être assuré jusqu’au 10 décembre par… le Medef ! On se prépare donc à une période de fortes turbulences. » Pourtant, l’urgence, rappelle Christophe Magnan de l’Udaf, c’est que « la Caf redevienne la Caf, c’est-à-dire un outil au service des familles ».
(1) L’ancien trésorier de l’époque, lui, est toujours en poste. Après avoir joué au chat et à la souris pendant près d’une semaine, il nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas donner suite à notre demande d’interview.
(2) Malgré nos sollicitations, ni Sylvain Ferrara, ancien président du CA, ni Jean-Pierre Soureillat, directeur de la Caf 13, n’ont daigné répondre au Ravi.
Sébastien Boistel