Euroméditerranée la culture de la truelle
Sur une affiche, la tour CMA-CGM et ce slogan : « Dessine-moi un avion ». Depuis 2007, ce gratte-ciel en front de mer symbolise Euroméditerranée, « la plus grande opération de rénovation urbaine d’Europe ». Un lifting qui fait de la culture son paravent, assurant que sur les 480 hectares du « nouveau centre de Marseille », il n’y aura pas qu’un million de mètres carrés de bureaux mais aussi « 80 % des équipements culturels » de MP 2013.
Mais, si l’art c’est du béton, cela ne va pas sans anicroches. Prenez la Minoterie, un théâtre « certes de qualité, dixit Véronique Kloyan, directrice de la concertation et de la communication d’Euroméditerranée, mais un peu confidentiel ». Installé depuis 25 ans à la Joliette, cette « scène conventionnée pour les expressions contemporaines », malgré le travail développé sur le quartier, a été rasé, l’îlot où il était ayant été vendu à un promoteur. Pour 13 millions d’euros, il sera reconstruit sous la future place de la Méditerranée. Happy end ?
« C’était un lieu ouvert, rappelle sa directrice, Pierrette Monticelli. Tout l’enjeu va être de renouer avec cette identité. Et d’accueillir toutes les populations du quartier. Les anciennes comme les nouvelles. » Une gageure : le théâtre, devant rouvrir fin 2013, aura besoin d’1,5 millions d’euros. Le double du budget actuel.
Pour Jean-Marc Coppola, vice-président (PCF) à la Région siégeant au conseil d’administration d’Euroméditerranée, « vu la taille des infrastructures et l’intensité de la crise, je crains qu’elles ne tombent à terme, dans l’escarcelle du privé, comme le Silo qui appartient à l’agence de notation Ficht ». Pour Karim Zéribi (EELV), « le "in" a oublié que Marseille fait 24 000 hectares. J’espère que le "off" se souviendra des quartiers populaires. » Favorable à un "fonds d’urgence" pour ces derniers, il estime « qu’en matière de politique de la ville, il n’y a plus aucune vision, plus aucune cohérence ».
Ce jour-là, il manifeste avec une centaine d’habitants des quartiers populaires devant Marseille rénovation urbaine. Car si la « ville accélère », pour eux, elle va « droit dans le mur ». Alors, comme l’explique Kevin Vacher, du centre social l’Agora, « on se retire du projet "quartier créatif" de MP 2013. Car on ne peut accepter, alors que l’on a de moins en moins d’argent, que 300 000 euros soient déboursés pour un "jardin créatif" qui sera rasé en 2014 puisqu’il est sur le tracé de la L2 (NDLR la future rocade) ! »
A ses côtés, la bête noire d’Euroméditerranée : le collectif « On se laisse pas faire ». Où milite Sauveur, habitant des Crottes, qui se demande comment, avec sa pension de retraité, il fera face à l’augmentation du foncier. Car son quartier, l’un des plus pauvres de Marseille, comptant à peine 3000 personnes, est au cœur de l’Ecocité d’Euroméditerranée 2 : 14 000 logements pour 30 000 habitants !
« La mixité sociale, ça ne peut se faire sans dialogue », dénonce Jérôme, du collectif. Or, lancée fin 2012 pour un projet initié en 2008, la concertation, qui s’achève mi-décembre, n’aura duré que deux petits mois, avec, notamment, des questionnaires « tournés de telle manière qu’on ne peut qu’y répondre positivement », raille le paysagiste. A Euroméditerranée, on s’en défend : « Ces questionnaires, c’est un outil pour donner son avis, ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la concertation. D’ailleurs, elle ne s’arrêtera pas en décembre. Et, vu l’ampleur des projets, elle ne pouvait commencer plus tôt. » Et d’asséner : « Notre ambition, ce n’est pas 30 000 habitants moins les 3000 actuels. »
Mais, vu ce qui s’est passé rue de la République, l’organisme a du mal à rassurer les habitants, craignant expulsions et expropriations. Début septembre, avec le patron d’Euroméditerranée, Guy Tessier (UMP), la socialiste Samia Ghali a promis : « On fera en sorte de ne pas reproduire les erreurs de la première phase. » Comment ? Mystère. Car si pour le parc social, il y a des règles, comme l’avoue Euroméditerranée, « on n’a aucune prise sur le privé ».
En 2003, l’adjoint à l’urbanisme de Marseille avait déclaré : « On a besoin de gens qui créent de la richesse. Il faut nous débarrasser de la moitié des habitants de la ville. » S’il a depuis démenti, pour Coppola, « c’est ce qui est en train de se faire. On chasse les pauvres pour attirer les couches moyennes ». Sauf « qu’avec une offre aussi standardisée qu’aseptisée, la greffe a du mal à prendre », note le sociologue Cesare Mattina. Qui cite Radioscopie des Euroméditerranéens, une étude où les nouveaux habitants attribuent… 9 sur 20 à leur quartier. « Ce sont des pionniers, très satisfaits de leur résidence et plein d’espoir pour leur environnement », élude la com’ d’Euroméditerranée. Mais qui, pour la moitié d’entre eux, envisagent de déménager dans les cinq ans ! L’établissement public a renâclé à nous communiquer l’étude complète : « Quand on voit ce que font nos opposants avec une synthèse de huit pages, on imagine même pas ce qu’ils feraient avec un tel document ! »
Sébastien Boistel
[Pour en savoir plus sur Marseille Provence 2014, c’est par ici.->http://www.leravi.org/spip.php?rubrique299]