Après la vague culturelle, le ressac ?
« Oui, je suis au courant, la capitale de la culture, on va ouvrir des musées, c’est bien, ça fera marcher les commerces. » A un mois de l’ouverture de la capitale européenne de la culture, c’est à peu près ce que l’on peut récolter comme témoignage quand on promène son micro dans la rue Saint-Ferréol à Marseille, l’artère commerciale de la ville. A Aix, c’est encore pire. Manon Baptiste, étudiante depuis trois ans dans la cité du Roi René, ne sait même pas qu’il va se passer quelque chose en 2013 dans sa ville. Situation complètement inverse à Arles, Istres, Gardanne ou Aubagne où les équipes municipales en place se sont emparées de la capitale européenne depuis plusieurs années à travers leurs outils de communication (journal, site internet). « Nous avons fait de la pédagogie, puis nous avons présenté les projets, résume Christophe Espilette, responsable des affaires culturelles d’Arles. Et nous nous sommes appuyés sur les structures existantes. » Mais si les Arlésiens ou les Aubagnais connaissent mieux la capitale européenne de la culture et le programme qui va se dérouler dans leur ville, ils n’ont quasiment aucune idée de ce qui va se passer ailleurs.
IAM comme Mc Cartney à Liverpool ?
« Tout cela est normal, tente de rassurer Jean-François Chougnet, directeur de MP2013. Dans toutes les capitales, nous observons le même phénomène : c’est extrêmement difficile de communiquer en amont sur plus de 400 manifestations qui vont s’étaler pendant une année entière sur un territoire aussi vaste. Nous avions essayé de mener à bien cet exercice lors de la présentation de l’avant programme en janvier dernier à la Friche de la Belle de Mai et franchement, ce n’était pas une réussite. » Depuis que le programme est connu, l’adhésion de la population aux événements est devenue la nouvelle source d’angoisse des équipes de MP2013. Il fallait voir Jacques Pfister, patron de la CCI et de MP2013 sur le plateau de Thierry Bezer sur France 3 Méditerranée, en novembre, s’alarmer de la communication inexistante dans les rues de Marseille. « Ce n’est pas mon job, mais là, franchement, c’est nul. On ne voit pas d’affiches de MP2013 et quand on en voit, on ne comprend rien. »
Puis le même Pfister de mouiller sa chemise en off pour convaincre Imothep, architecte sonore du groupe IAM, d’accepter de faire un concert en 2013 à Marseille. « Vous êtes le groupe « number one » de Marseille, vous devez jouer ici devant une grosse assistance, exactement comme Paul Mc Cartney a rempli Anfield Road lors de la capitale européenne de la culture à Liverpool en 2008 ! Le monde entier doit voir ce genre d’images de Marseille ! » A ses côtés, Ulrich Fuchs, directeur artistique adjoint, tempère l’enthousiasme de son patron. « C’est possible, à condition de trouver de nouvelles marges financières. » Imothep les calme d’emblée. « Nous préparons notre album qui sortira en avril 2013. Franchement, nous n’avons pas le temps pour ce genre de projet. » Pan sur le bec. Difficile de comprendre cette fin de non recevoir sans savoir qu’IAM avait avancé un projet sur Camus avec le grand théâtre de Provence de Dominique Bluzet, projet refusé par MP2013 pour des questions financières. Toutes ces questions seront balayées si le week-end d’ouverture des 12 et 13 janvier est une réussite… populaire. Plus de 1000 journalistes dont près de 300 de France télévision, sont attendus dans la cité phocéenne. « Le week-end d’ouverture fonctionne comme une image subliminale, assure Jean-François Chougnet. Si les Français et le monde entier voient des images d’une fête populaire et de gens heureux, ils sont plus enclins à s’informer sur les événements de 2013 et à programmer une visite ici. La capitale se joue en partie sur ces deux jours. »
L’excellence artistique… au musée
Au côté de la dimension populaire de l’événement, Bernard Latarjet, grand ordonnateur de MP2013 en 2008, avait également fixé un autre objectif : l’excellence artistique. Aujourd’hui, elle semble très « contextualisée » : plus de grand festival d’art contemporain qui devait être pérenne, plus de projet un peu fou comme le concert des cent guitares de Sonic Youth, sans parler du psychodrame de l’expo Camus à Aix ou l’ouverture de la fondation Luma dans les anciens chantiers SNCF d’Arles. A la place sont mis aujourd’hui en avant les quartiers créatifs, le GR2013 ou la Transhumance. « L’excellence artistique de 2013 se retrouvera dans les musées, résume Bruno Ely, conservateur du Musée Granet à Aix. L’exposition « les grands Ateliers du Midi » que nous allons présenter avec le Palais Longchamp sera une première de cette importance en dehors de Paris. Nous aurons plus de 400 œuvres venant des principales collections du monde entier qui retraceront l’influence de la lumière du sud sur une période charnière allant de 1870 à 1960. Elle est assurée pour des milliards d’euros ! De même, les expositions au Mucem, à la Villa Méditerranée, au château Borély marqueront les esprits. » Le fait que l’ensemble de ces établissements ouvrent en même temps pour la première fois au public fera forcément des expositions les grands rendez-vous de 2013. « Et encore, cela ne comprend pas le Silo, le Klap de Michel Kélémenis, la réfection de l’Odéon, du hall d’entrée de la Criée, les travaux de l’Opéra, la tour Saint-Jean, la réimplantation du théâtre de la Minoterie, l’extension de la Friche de la Belle de Mai, et le musée d’histoire du centre Bourse, égrène Daniel Hermann, adjoint à la culture de Marseille. Sur les 660 millions d’euros investis, la ville en a mis 220, ce qui est un effort sans commune mesure. Jamais cela ne se serait produit sans la capitale de la culture. »
Pour que MP2013 ne soit pas qu’un pétard événementiel, il faut que la dynamique culturelle qu’elle a créée se prolonge dans les années suivantes, à l’image de ce qui se passe à Lille depuis 2004. Pour Daniel Hermann, le budget de la culture à Marseille doit être aligné sur les autres grandes villes. « Nous sommes à 10 % du budget total, il faudrait pouvoir monter à 12,13 % en lissant sur plusieurs années. » Du côté de Michel Pezet, chargé de la culture au CG13, l’ambiance n’est pas si rose. « Tous les nouveaux équipements vont nécessiter des budgets de fonctionnement supplémentaires. Or l’Etat a déjà programmé un budget en baisse en 2013 de 2,3 %. Dans les collectivités, la culture en 2014 a de grandes chances de subir des coupes franches de l’ordre de 10 %. » Pour éviter de casser la machine, l’élu milite afin d’inciter les opérateurs à mutualiser entre petites et grosses structures ou à trouver des financements complémentaires dans le privé. « Banco, sourit Jacques Pfister. Le monde économique a prouvé qu’il pouvait se mobiliser en trouvant 15 millions d’euros de mécénat. Nous sommes prêts à continuer sur notre lancée dans les années à venir si MP2013 démontre sa capacité à sortir le territoire du marasme dans lequel il traîne depuis quelques années. »
Stéphane Sarpaux