Les médiastases de Paca
Qu’à Marseille, une école de journalisme ferme donne une idée de l’état des médias en Paca. A ce titre, la situation de la Presse quotidienne régionale (PQR) est édifiante. Depuis que l’accord entre Rossel et Hersant pour le rachat de La Provence, et de Nice, Var et Corse-Matin, les salariés sont dans l’expectative. Alors que le mandataire judiciaire a jusqu’à fin septembre pour négocier avec les banques la dette de 200 millions d’euros d’Hersant médias, on saura bientôt si le groupe dépose ou non le bilan. A Var Matin, on craint à la fois « un plan social et une vente à la découpe, les régies pub de La Provence et de Nice Matin étant désormais distinctes ». A La Provence, « on vit avec les rumeurs. Rossel, après avoir claqué la porte, pourrait revenir par la fenêtre. Le Crédit mutuel, comme le groupe Centre France, s’intéresserait à nous. Car, à un an des municipales, nos journaux ne peuvent laisser indifférents ». En attendant, le journal distribue, comme si de rien n’était, des I-phones à ses journalistes pour qu’ils alimentent le site. Une fuite en avant dans une entreprise qui, pour garder la pub, a voulu tout maîtriser, tout standardiser, du print au web en passant par les gratuits.
Budgets et tiraillements
A La Marseillaise, l’ambiance est morose, les comptes dans le rouge et le guichet de départs volontaires, concernant une quarantaine de salariés, ouvert. « Si on continue comme ça, on va droit dans le mur !, s’inquiète Jean-Marie Dinh, de la CGT. La rénovation du titre n’ayant pu se faire, si on applique qu’une logique comptable, on va déstabiliser tous les services. Alors qu’il y a, dans la région, vu les élections, de la place pour un quotidien de gauche. » Ambiance tendue alors que les journalistes sont payés en de-çà du minimum syndical (NDLR comme au Ravi !) : ils viennent de débrayer pour sauver un poste de rédacteur à la rubrique « culture » qui, à la veille de 2013, allait être supprimé ! Et pourraient, si nécessaire, interpeler lecteurs et politiques. Car il y a urgence. Faute de moyen (et de relecture), Jean-Marc Coppola, conseiller régional PCF, s’est retrouvé au « conseil général » et le patron de la « Fédé » du PCF des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville, en a marre qu’on ne sache où est son « h ».
Si la presse est sinistrée, celle qui l’alimente ne va guère mieux. A l’AFP, le budget « piges » est toujours en berne alors que l’agence ne compte, pour couvrir un territoire plus grand que la région, qu’une dizaine de journalistes. « On est en permanence tiraillés entre les impératifs budgétaires et la nécessité de produire une info qui réponde aux canons de l’AFP », témoigne l’un d’eux. A l’autre bout, les gratuits eux aussi tirent la langue. Ainsi, à 20 minutes Marseille», suite au départ des « historiques », l’intérim a été assuré par un CDD venu de Paris, remplacé peu après par un « junior », une jeune plume ne coûtant pas cher au « premier quotidien » de France. Et, à Metro et Direct Matin, le manque de moyens est tel qu’il est rare de voir leurs journalistes sur le terrain.
Casser le thermomètre
Côté audiovisuel public, ça ne va pas très fort. La gauche n’a en effet pas rétabli la pub après 20 heures. « Mais, même si cela avait le cas, on serait encore en sous-financement, lâche Eva Fontenay, de la CGT de France 3. Si, avant, on produisait nos propres magazines, aujourd’hui, on n’en a plus les moyens. » Le patron de la télé publique, Rémy Pflimlin, a évoqué un « plan social » qui pourrait concerner plus de 800 personnes ! « Pflimlin a été nommé par Sarkozy mais la tutelle ne peut pas désavouer l’austérité qu’il prône, souligne Robert Papin, de la rédaction marseillaise. On est au milieu d’une partie de poker menteur. Et puis, en agitant le chiffon rouge de la fusion des rédactions, ça détourne l’attention. En attendant, ordre a été donné de ne pas trop recourir aux CDD. Quant aux formations, elles sont gelées. »
Une situation qui ne profite même pas au privé. Malgré une nouvelle grille et de nouveaux propriétaires qui lorgnent déjà sur la télé locale de Nice, LCM (La chaine Marseille) ne semble pas pressée de recourir aux mesures d’audience de Médiamétrie. « Trop coûteux », disent les nouveaux propriétaires à l’image des anciens qui avaient jugé plus prudents de « casser le thermomètre ». Si, après des années de vaches maigres, les journalistes ont eu droit à une rallonge de 100 euros, ils scrutent ce que va faire leur VRP de luxe, le maire DVG d’Istres, François Bernardini, dont les appétits pourraient être réveillés par la condamnation du président socialiste du SAN Ouest, Bernard Granié…
Du rêve et du vent
Du côté des ondes, il y a aussi de la friture. Certes, Radio France n’est pas Radio Zinzine Aix, cette station associative que le CG13 veut expulser et que la mairie d’Aix cherche à reloger. « Mais nous aussi, on bosse à moyens constants, souligne Fabien Ledu, de France Bleu Provence. C’est-à-dire sans embauche ! Aujourd’hui, la moyenne pour faire tourner une locale, c’est 26 postes. Comme on est trente, on va devoir s’aligner. » Et ce, alors que le travail s’intensifie puisqu’il faut « tweeter, être sur Facebook, bref faire du « bruit ». Sur la base, bien sûr, du volontariat. Et avec, pour coordonner tous les sites web dans le sud, une seule personne ! » Or, sur la toile, le miracle a, de plus en plus, des allures de mirage.
Pour Marjolaine Dihl, du collectif de pigistes « Presse papier », « c’est de plus en plus galère. Il est quasi impossible de travailler pour les médias locaux. La seule solution ? Bosser pour la presse parisienne ou spécialisée. Ou accepter des niveaux de rémunération très bas. Voire faire de la com’, des ménages… » Pourtant, note Laurent Berneron, pigiste et animateur du site B Magazine, « on a dans la région une actualité d’une richesse exceptionnelle. Sauf que médiatiquement, cela se résume à une série de clichés. Et je ne parle même pas de faire une info réflexive… »
Marc Bassoni, de l’école de journalisme de Marseille, n’est guère plus optimiste : « Il est de plus en plus difficile de placer nos étudiants, même en stage. Alors que se multiplient, sans aucun contrôle, les formations pour devenir journaliste. On vend du rêve et donc du vent ! Voilà pourquoi on forme nos étudiants à être opérationnels mais aussi à avoir un regard critique. » Espérons qu’ils auront souri en apprenant la naissance du « Cercle des Médias et de la Communication Marseille Méditerranée » ? D’abord parce qu’à Marseille, il y a maintenant deux clubs de la presse. Ensuite parce qu’il veut rapprocher – bel exemple de mélange des genres – médias et communicants. Enfin parce que le lancement a eu lieu au Cercle des Nageurs Marseillais : pour être journaliste, faut savoir mouiller la chemise et faire de l’apnée.
Sébastien Boistel