« Impossible d’allumer »
17h39 Bar-restaurant l’Oasis, en face de la mairie de Vaison-la-Romaine, à la lisière du centre-ville. Dans quatre mois, la petite commune du nord Vaucluse va fêter les vingt ans des inondations de l’Ouvèze (37 morts) qui lui ont offert la réputation nationale que ses sites antiques ou le mas de Mimi Mathy n’ont pas réussi à lui donner. Ce mardi 15 mai, la clientèle – dont une partie semble avoir attaqué l’apéro assez tôt – parle nomination de Jean-Marc Ayrault au poste de Premier ministre et futur gouvernement. « On va pas bosser beaucoup », rigole un petit groupe lorsqu’un des leurs se propose pour le ministère du Travail. Nouvelle poilade lorsque « Dédé » réclame de son côté le « ministère du Cul ». Le vote FN à la présidentielle ramène finalement tout le monde à la réalité. « Il y a des gens de gauche qui ont voté Le Pen parce qu’ils trouvent qu’il y a trop d’immigrés », explique un retraité grisonnant. Avec « seulement » 20,08 % pour la fille de Jean-Marie, Vaison-la-Romaine fait figure de bastion gauchiste dans le Vaucluse, qui a voté à 27 % pour la candidate d’extrême droite (premier département de France !), avec une pointe de 31,50 % à Carpentras…
17h51 A l’exception de deux employées qui s’affairent, la salle du conseil est déserte. Tout en longueur, carrelé et bas de plafond, l’endroit fait penser à une salle des fêtes avec ses murs vert d’eau.
17h57 Les conseillers municipaux arrivent par grappe. La plupart font un arrêt à la table réservée aux journalistes, qui fait face aux élus (disposés en U) dans un style très soviétique. Quadra au visage avenant, veste gris clair un peu large sur une chemise blanche, Pierre Meffre, maire PS depuis 2003 et la mort subite de Jean Fabre, réélu en 2008 dans un duel de premier tour, se plie volontiers à la tradition.
18h01 « On commence », lance micro à la main le conseiller régional et candidat à la députation sans plus de politesse. Ni un mot sur la victoire de François Hollande. Parce que le nouveau président de la République a localement été largement devancé par Nicolas Sarkozy (45 % contre 55 %) ? A moins d’une quadrangulaire, les chances de Pierre Meffre aux législatives sont en effet très minces dans une circonscription très favorable à la droite et à l’extrême droite, en particulier au maire d’Orange, l’ex-FN Jacques Bompard.
18h02 Les élus de la majorité coupent la parole à leur édile pour lui signifier que son micro ne fonctionne pas. Tests et autres manipulations suivent. Des « non » et autres « impossible d’allumer » ponctuent l’interruption.
18h04 Appareil toujours en main et toujours aphone, Pierre Meffre tranche : « On va pouvoir commencer. »
18h05 « Je vous propose de passer au tirage au sort de la liste des jurés d’assises », enchaîne le conseiller régional. Installée derrière un ordinateur de bureau, une employée municipale, Natacha, lance l’application sur un écran géant. Une liste d’une dizaine de noms apparaît. Pierre Meffre fait la lecture avec un nouveau micro, pas plus utile. « Donne-le à l’opposition », lâche à voix basse un confrère.
18h07 « Je sors de la salle du conseil », explique un employé de la ville le portable à l’oreille en se dirigeant vers la sortie.
18h08 Après avoir enfin récupéré un micro en état, le maire explique : « Cette liste est préparatoire. Elle sera transmise au tribunal qui tranchera. » « Nous demandons aux journalistes de ne pas publier les noms avant que nous ayons prévenu les personnes, début juillet », complète Natacha en sortant du programme. Une photo des calanques s’affiche sur son écran.
18h10 « Je vais vous donner lecture des décisions prises sur délégation », annonce Pierre Meffre. Un employé se lève et lui susurre quelques mots à l’oreille. Nouveau moment de flottement. « Le compte rendu du précédent conseil vous sera envoyé prochainement, nous voterons son approbation lors de la prochaine séance », s’excuse, imperturbable, le maire.
18h11 Encore un couac. « Il s’agit bien du conseil municipal de mai et non de mars, comme indiqué sur l’ordre du jour », explique Pierre Meffre cette fois un poil excédé.
18h13 Natacha démonte son ordinateur puis enchaîne des allers-retours hors de la salle pour sortir les différents éléments (écran, unité centrale, etc.). Arrivée de Jean-Roger Betti, jeune élu de la majorité.
18h15 « Voilà pour les décisions », conclue Pierre Meffre. Jean-François Périlhou, leader de l’opposition UMP d’une trentaine d’année en chemise noire et veste anthracite, prend une inspiration… Mais le promoteur, membre des Jeunes actifs de l’UMP 84, la garde dans ses joues. Aucune explication, donc, sur trois décisions surprenantes : la « constitution de partie civile [de la commune] auprès du tribunal de grande instance pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique », la « saisine [par la commune] du cabinet d’avocats Michel Pezet et associés dans le dossier 1200602-2 » et « dans le dossier 1200674-0 référé suspension ». Une certitude, le PS de Paca est une grande famille : ancien éléphant régional, Michel Pezet est toujours conseiller général des Bouches-du-Rhône…
18h16 « Désignation des délégués du conseil municipal auprès du conseil d’administration du comité d’animation et de promotion du pays de Vaison-la-Romaine » (délibération 2). « Si vous êtes tous d’accord pour un vote à main levée, j’ai des propositions de noms », explique Pierre Meffre en regardant son opposition. Aucune réaction.
18h17 Vote. Dans un même mouvement, Jean-François Périlhou et sa seule colistière présente (sur six élus) posent leur coude sur la table et lève la main au mot « abstention ».
18h18 « Personnel de la mairie de Vaison-la-Romaine. Agents non titulaires de la fonction publique territoriale. Emplois saisonniers » (Délibération 3). Cheveux courts, lunettes, la cinquantaine dynamique, Ghislaine Charron, adjointe aux affaires sociales, attaque la délibération. Pierre Meffre se lève et va régler le son du micro. La voix de son adjointe se perd, avant de retrouver un niveau sonore convenable. Le maire se rassoie, regarde ses mains, se les frotte et finalement croise les bras près de son corps.
18h20 Vote. « Qui est pour ? » interroge Ghislaine Charron. Avant de rigoler : « Tout le monde ! » Unanimité.
18h21 Jean-François Périlhou lit, annote, gonfle les joues, pince ses lèvres. Mais reste silencieux. Le trentenaire est à l’image de sa dernière contribution à la Revue d’informations municipales : énigmatique. Alors qu’en général la tribune règlementaire sert à l’opposition d’une commune pour taper sur la politique de la majorité, lui en a profité pour revenir sur un « événement […] particulier » : les « demi-finales régionales de la Coupe des novices de boxe anglaise amateur ». Il n’y pas de petit profit politique ?
18h22 « Recherche de substances dangereuses dans l’eau : demande de subvention auprès de l’Agence de l’eau » (délibération 4). Commentaire du même confrère : « Il va y avoir du boulot ! »
18h23 « Dernier point de l’ordre du jour », annonce Pierre Meffre. Jean-Roger Beffi pianote sur son portable, Jean-François Périlhou continue de prendre des notes en silence.
18h26 Après une dernière unanimité, le maire conclue : « Je vous remercie, c’était un conseil municipal particulièrement court. » Visiblement trop : pour une fois les élus prennent leur temps pour partir !
Jean-François Poupelin