L’arrivée des pieds-noirs, un big bang sociologique
Des contextes sociaux, aux vocabulaires, en passant par les pratiques culturelles et culinaires, René Domergue, auteur de L’intégration des pieds-noirs dans les villages du midi (1), s’est attaché à comprendre l’incroyable acculturation vécue par notre région depuis 50 ans avec une population occidentale atypique : les pieds-noirs. « Au début du XX ème siècle, les immigrés espagnols et italiens arrivaient comme ouvriers agricoles ou forestiers, pour occuper un emploi peu qualifié, souligne le sociologue. À l’époque, ils devaient affronter un regard populaire qui était méprisant, mais pas envieux. Avec l’arrivée des rapatriés, ce fut très différent. Les fonctionnaires rapatriés sont venus occuper des postes en métropole, d’autres étaient qualifiés et ont bouleversé l’économie. Nombreux sont les habitants de la région à garder rancœur aux pieds-noirs d’avoir retardé une mutation ou un avancement. »
L’intégration des pieds-noirs dans la société française, Marie-Paule Couto du laboratoire de sociologie quantitative CREST-INSEE l’a longuement étudiée : « Il y a un consensus dans la littérature pour dire que les pieds-noirs ont connu une assimilation économique rapide et plutôt réussie. À cela, quatre explications complémentaires : le contexte des trente glorieuses ; les politiques publiques dont ils ont bénéficié avec les indemnités ; leurs caractéristiques démographiques avec leurs âges et leurs niveaux de diplômes ; enfin, certains chercheurs évoquent un dynamisme pied-noir. »
« Pour les gens d’ici, les pieds-noirs viennent manger leur pain. »
Le logement a été l’un des problèmes majeurs à cette époque. Afin de le résoudre, l’État a pris les choses en main : « Pour les constructions HLM, ils ont bénéficié d’une discrimination positive, c’est valable pour l’Ile-de-France et pour la région Paca. Il y avait encore des bidonvilles à cette époque et l’on construisait beaucoup d’HLM pour y faire face. Sur ces HLM, il a parfois été réservé un quota allant jusqu’à 30 % à des pieds-noirs. »
René Domergue insiste sur un aspect aujourd’hui oublié : « Quand les pieds-noirs arrivent en 62, les gens d’ici ne connaissent qu’un stéréotype : le colon très fortuné. On sous-estime souvent le fait que la grande-bourgeoisie pied-noir ait senti le vent tourner avant les autres. Dès les années 1950, certains vendent tout en Algérie et achètent des grands domaines luxueux dans le Sud de la France, roulent en voiture, et ont des domestiques. Du coup, quand les 600 000 rapatriés arrivent en 1962, les locaux pensent que tous sont aussi fortunés et viennent donc manger leur pain. » Pour le sociologue, c’est évident : cette grande-bourgeoisie pied-noir a indirectement parasité l’intégration rapatriée, et contribué à développer le sentiment communautaire.
Et politiquement, comment notre sociologue situe les pieds-noirs lors de leur arrivée ? « La gauche était forte en Algérie. C’est peut-être ce qui explique l’enracinement de leur culture protestataire qu’ils ont conservée, analyse René Domergue. Elle a pu parfois se déporter vers l’extrême-droite par la suite, mais beaucoup étaient avant tout des simples gens, peu politisés, dont l’identité a été forgée par l’exil. »
Jean-Baptiste Malet