Des politiques sous influence nostalgérique
Dans la région, depuis les multiples épisodes de la stèle de Marignane (13), il personnifie le combat des anciens de l’OAS, l’organisation armée secrète. Au détour d’une petite route hyéroise, perdue au fond d’une allée de palmiers, sa silhouette raide surgit, enveloppée d’un blouson de cuir estampillé d’un pins de l’Adimad (Association de défense des intérêts moraux des anciens détenus). Jean-François Collin, ex-conseiller municipal Front national à Hyères (83), a raccroché avec le parti d’extrême-droite après avoir été présenté sur le bulletin de vote lepéniste des régionales de 2004 comme « président de l’Adimad », ce qu’il voulait éviter par égard pour ses camarades disséminés dans d’autres partis. « Vous savez, ça va de Théo Balalas qui est au PS (1), à des gens du Mouvement pour la France, du Front, ou d’ailleurs » explique-t-il à côté d’un pot à crayons sérigraphié OAS.
Avant de rejoindre l’organisation terroriste, Jean-François Collin a milité à Jeune Nation, un groupuscule néo-fasciste né en 1949, animé par les frères Sidos, les fils d’un pétainiste de la première heure. « Chez Jeune Nation, on était les plus armés politiquement, explique-t-il au sujet de ce groupuscule toujours influent auprès de Bruno Gollnisch, le leader du Front national. Nous avions des relais chez les jeunes un peu partout en France. Mais les écoles et lycées militaires, comme celui d’Aix-en-Provence, étaient pour nous des pépinières. »
Parachutiste blessé durant la guerre d’Algérie, c’est à ce titre que cet influent ultra a été décoré de la légion d’honneur le 1er novembre 2011, devant la stèle de Marignane. « Je ne voulais pas la demander, c’est un ami qui a rempli le dossier, je me suis contenté de signer, assure-t-il. Me trouver aux côtés des coureurs cyclistes, des chanteurs de rap et de Joan Baez, je m’en foutais. Mais on m’a dit que ça emmerderait les gens de la Ligue des Droits de l’Homme. J’ai jeté mes médailles aux juges quand j’ai été condamné pour l’OAS, en disant que je ne porterai plus jamais mes décorations… »
Dont acte… La médaille lui a été remise par un ancien condamné à mort par contumace qui vivait jadis en Amérique du Sud, Jean Bireau, dit « Capitaine Jean », en présence de nostalgériques. Jean-François Collin n’a pas épargné Sarkozy en l’attaquant nommément durant la cérémonie : « C’était sur proposition de Longuet (2) et Sarkozy, ils doivent savoir ce qu’ils font. Longuet a un passé sulfureux ! Je pense qu’il reste quelque lueur de sa jeunesse, s’amuse Collin. Mais s’ils pensent m’acheter, ils se trompent. »
« J’ai été élevé dans la haine du gaullisme »
Depuis cinquante ans, la surenchère électorale s’organise. Marqués par une expérience politique d’une rare intensité, les cadres de la lutte pour l’Algérie française n’ont pas seulement fourni les rangs du FN. Le vent Algérie française a également soufflé sur de nombreux scrutins, afin de valider ou d’infirmer les candidats ayant à faire allégeance à la communauté rapatriée, un électorat compact et captif. Si, depuis sa création, l’Adimad tient un discours musclé et hostile à la droite républicaine, une autre association d’anciens détenus OAS, l’ADEP (Association nationale des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française), aurait accompagné, selon Collin, de nombreuses campagnes électorales dans la région. « Marchiani, Pasquini, Pasqua et Léotard (3) en ont bénéficié » assure le président de l’Adimad. À la tête de l’ADEP, l’on trouve Athanase Georgopoulos, jadis exilé 9 ans en Espagne franquiste. Celui qui se vante d’avoir permis les victoires de François Léotard à Fréjus (83) a été bénéficiaire de l’indemnisation prévue par l’article 13 de la loi du 23 février 2005, et nommé membre de la commission chargée de gérer cette indemnisation, sous les ors de la République.
Pour Maryse Joissains et Michèle Tabarot, députées-maires UMP d’Aix-en-Provence (13) et du Canet (06), l’Algérie française est une histoire de liens familiaux. Tout comme pour le député varois Philippe Vitel, membre de la droite populaire, l’aile dure de l’UMP surreprésentée en Paca. « J’ai été élevé chez moi dans une haine du gaullisme, parce que mon père n’a jamais supporté cet abandon de l’Algérie », explique-t-il dans sa permanence. Sur les murs s’affichent des unes jaunies du Figaro et de Var Matin annonçant les écrasantes victoires de la droite depuis six décennies. Plus loin trônent des photos de famille, en noir et blanc. Des parties de pêche, aux bureaux cossus, on y retrouve toujours les mêmes figures. « Là c’est mon père, à côté d’Arreckx et Fabre. C’était le triumvirat toulonnais » montre-t-il du doigt. Maurice Arreckx, maire de Toulon, 1959 à 1985, ainsi que Jean Vitel, ancien député du Var, et Henri Fabre, 1er adjoint d’Arreckx, étaient tous trois pro-Algérie française.
« Mon père a démissionné de l’UNR en 1961, par opposition à de Gaulle, poursuit Philippe Vitel. Il ne faut pas oublier qu’il y a le discours de Constantine où de Gaulle prend des positions pro-Algérie française, et le forum d’Alger où il dit le contraire. Il a donc été battu aux législatives en 1962 parce qu’il n’avait plus l’investiture UNR. Mais deux ans plus tard, après que les rapatriés soient arrivés, mon père a battu à plate couture Marcel Bayle aux cantonales. » L’arrivée des rapatriés sera bien prise en compte par de nombreux barons politiques en Paca, y compris « socialistes », tels Gaston Deferre et Félix Ciccolini les anciens maires de Marseille et Aix-en Provence, qui sauront ne pas s’aliéner cet électorat précieux à caresser dans le sens du poil.
Aujourd’hui, Philippe Vitel illustre à la perfection les positions d’équilibriste de l’UMP sur les questions mémorielles : pro-Algérie française certes, mais pas favorables à l’OAS. « Tout ce qui est excessif est ridicule, lâche Vitel, gêné. Il y a eu des combats d’arrière-garde. Ils ont desservi la relation que l’on pouvait avoir avec l’Algérie. À partir d’un moment, il y avait un point de non retour. Le combat des généraux était dépassé, c’étaient des types qui n’avaient plus de légitimité. Maintenant, je vais me recueillir sur le seul monument de l’Algérie française : celui de Toulon. J’y vais le 26 mars, pour les fusillés de la rue d’Isly, sans écharpe, sans gerbe, en simple citoyen. Quant aux hommages à Raoul Salan (4), du temps de la mairie FN à Toulon, j’y suis allé quelques fois pour les emmerder. Cela les gênait qu’on aille au milieu d’un truc qu’ils considéraient comme leur chasse gardée. »
Le terrorisme de l’OAS reste un héritage politique que le FN a plus de facilité à assumer. « C’étaient des héros » assure aujourd’hui Louis Aliot, le n°2 du parti et compagnon de Marine Le Pen. Sa mère, Thérèse Sultan, ex-conseillère municipale d’Ax-les-Thermes (Ariège) et déléguée régionale du Cercle National des Rapatriés, l’a élevé dans la nostalgérie. Elle est d’ailleurs une amie personnelle de Jean-François Collin.
À Hyères, cette grande Histoire s’invitera à nouveau durant la campagne des prochaines législatives, dans la troisième circonscription du Var. Très favorable à l’extrême-droite, la terre d’élection de Yann Piat (5) – filleule de Le Pen dont la mère était OAS -, a offert au FN en 1997 et 2002 un second tour face à la droite… avec près de 35 % des voix. Ce n’est pas encore officiel mais des cadres FN le certifient : Bruno Gollnisch sera candidat dans cette circonscription hyéroise, en juin prochain. Certes, sa mère habite Carqueiranne (83). Mais pour espérer gonfler le socle électoral FN local et l’emporter dans une triangulaire, le ténor frontiste élu en Rhône-Alpes et à Bruxelles sait surtout qu’il pourra compter sur le soutien d’un camarade : « Bruno Gollnisch, c’est quelqu’un que j’apprécie, confie Jean-François Collin. Il est même déjà venu manger à la maison. » Rien de plus convivial qu’un barbecue merguez !
Jean-Baptiste Malet
Cet article est extrait de la grande enquête du numéro 93 du mensuel le Ravi, daté février 2012, intitulée « Nostalgérie quand tu nous tiens ». Pour ne pas manquer, nos prochaines investigations, abonnez-vous ! C’est tout simple et par ici.