Moi Vincent Labrune, « Au nom du père »
Paris, 27 décembre
Ligue de football professionnel
DNCG / Direction nationale du contrôle de gestion
Compte-rendu de l’audition du président de l’Olympique de Marseille, le 2 décembre 2011 / À l’attention du président de la Ligue / Classé Confidentiel bleu
Président,
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les principaux faits saillants de l’audition devant nos services du nouveau président de l’Olympique de Marseille.
Comme vous le savez, la DNCG avait décidé de convoquer l’équipe dirigeante de l’OM après que celle-ci a annoncé un trou de 455 000 euros dans son budget à l’issue de la dernière saison. Entretemps, ce trou s’est agrandi pour atteindre 15 millions d’euros en fin d’année, et pourrait s’élever l’été prochain à 20 millions d’euros (2). Si elles se confirment, ces pertes représenteraient plus de 15 % du budget du vice-champion de France, situation inacceptable selon les règles comptables de la Ligue.
Mais cette réunion était surtout l’occasion de rencontrer pour la première fois celui que la presse décrit comme « le nouvel homme fort » de l’OM : Vincent Labrune. Vous avez déjà eu l’occasion de le croiser lors de son élection au conseil d’administration de la Ligue mais j’espère, comme vous me l’avez demandé, vous apporter un point de vue complémentaire et objectif sur le personnage.
Physiquement, cette entrevue confirme votre première impression : l’homme ne dépare guère dans la galerie des présidents de l’OM. Cheveux longs et bruns grisonnants, légèrement gominés, chemise ouverte sur poitrail imberbe et éternelle cigarette aux lèvres ou à la main, Labrune présente un curieux mélange de regard tombant, nez pointant et visage poupin, yeux et bouche souvent pincés en un demi-sourire.
« T’inquiète pas, ça va rouler »
Professionnellement, son CV ne le qualifie guère pour sa charge : à quarante ans tous mouillés, Labrune n’a jusqu’ici été que « colmateur de brèche » en relations publiques (3). Ancien attaché de presse du service des sports de France 2, puis employé de la société de production de Jean-Luc Delarue, il joue les pompiers de service face aux frasques à répétition de son animateur-producteur de patron. Son envol a lieu en 2003, quand il rencontre le propriétaire de l’OM Robert Louis-Dreyfus (RLD) grâce à leur passion commune pour la boxe. Il développe, selon ses termes, un « transfert » (4), faisant de Robert son « père spirituel » (4). L’épouse de RLD lui accorde plutôt la place de « frère » de Robert.
Il devient à partir de ce moment conseiller en communication de RLD, avec le succès que vous lui connaissez, notamment durant le procès des transferts suspects de l’OM en 2006. Il sera de toutes les arrivées de RLD au tribunal, écharpe OM nouée au cou du grand patron et communiqué triomphant assurant que « quoi qu’il arrive à l’issue du procès, Robert Louis-Dreyfus maintiendra son implication dans le club » (5). Le tout pour voir RLD s’enferrer piteusement dès l’année suivante dans le vrai-faux rachat de l’OM par Jack Kachkar.
En 2008, Labrune est nommé président du conseil de surveillance du club… et ne semble pas surveiller grand-chose : s’il regrette aujourd’hui que l’OM soit presque toujours déficitaire sur le marché des transferts, Labrune n’empêche en rien les arrivées piteuses de Ben Arfa, Lucho et autres Gignac. Car dans un premier temps, il poursuit la politique de gestion à distance de l’OM, s’appuyant sur des présidents ex-agents de joueurs comme Pape Diouf ou des vieux beaux venus de la télévision comme Jean-Claude Dassier. Planqué à Paris, Labrune devient le punching-ball favori des dirigeants « marseillais » du club. À la mort de Robert Louis-Dreyfus, à l’été 2009, sa veuve Margarita souhaite vendre l’OM. Labrune l’en dissuade d’un « je prends tout sur moi, et ne t’inquiète pas, ça va rouler » (3).
« Mon arrivée n’est pas une bonne nouvelle »
Ce disant, votre nouvel administrateur s’est un peu avancé. Il engrange certes l’année suivante un premier titre de champion de France pour l’OM période Louis-Dreyfus, mais il ne parvient pas à assainir les finances du club ni à le purger de son environnement mafieux. Le président de la République viendra en personne mettre en garde joueurs et encadrement contre leurs « fréquentations » et autres « relations nuisibles » (6). Margarita avait, elle, exigé que l’OM « ne lui coûte pas trop d’argent », elle se retrouve dès l’été dernier à devoir réinjecter 20 millions d’euros dans le club à la suite du catastrophique mercato mené par Dassier sous la « surveillance » de Labrune, lequel décide finalement, acculé, de faire sauter le fusible et monter lui-même en première ligne. Labrune a un atout : en face de lui, on sait qu’il a le soutien de Margarita, au point de parler pour elle en sa présence, devant les caméras. « Mon arrivée n’est pas une bonne nouvelle » (4) clame-t-il partout, promettant sueur, larmes et rigueur budgétaire.
L’homme sait s’entourer de spécialistes tout à fait au niveau, notamment son directeur général « expert-comptable, président du Red Star, un petit club sympa de CFA » (4). Voilà quelqu’un qui saura parfaitement ramener l’économie de l’OM à de plus saines proportions, ce qui est aussi la volonté des exécuteurs testamentaires suisses de RLD : selon Louis Acariès, grand ami de feu le propriétaire de l’OM, ceux-ci « n’autoriseront pas très longtemps Margarita à renflouer les caisses du club » (7). Le jeune président en a conscience et développe une analyse lucide sur son club : sous Diouf puis Dassier, la masse salariale de l’OM a enflé par dizaines de millions chaque année (8), pour atteindre 65 % de son budget. Et Nasri mis à part (9), l’OM n’a réalisé de grosse plus-value sur aucun des joueurs formés par le club, pas même sur Mathieu Flamini (10). Conséquence sportive : l’OM, comme tout club français non financé par les pétrodollars qataris, n’a pas la puissance de feu pour franchir les quarts de finale de Ligue des champions.
À l’inverse, pour le championnat national, « l’homme fort » de Marseille ne semble pas trop savoir où aller. En début de saison, il dit vouloir jouer le titre, puis, au vu du départ catastrophique de son équipe et de la montée en puissance du PSG, il assure ne souhaiter qu’une place sur le podium. La faute à la perpétuelle brouille entre Didier Deschamps, l’entraîneur, et José Anigo, le directeur sportif. Labrune a fini par trancher en faveur de Deschamps, sans toutefois appliquer la punition qu’il avait annoncée contre Anigo. De même, confronté aux joueurs, il a lui aussi augmenté les primes de match après avoir dénoncé le procédé sous Diouf et Dassier.
Au final, Président, Vincent Labrune n’a pas encore entraîné de véritable rupture en six mois d’exercice à l’OM, malgré le soutien sans faille de son actionnaire principal. S’il poursuit sur cette voie, il ne devrait pas représenter une menace pour votre prééminence au sein de la Ligue, ni constituer un obstacle sérieux à un retour en force de l’OL ou du PSG en championnat.
En espérant que ces quelques informations complémentaires vous seront utiles, je vous prie d’agréer, Président, mes salutations les plus respectueuses.
Par Chris Waggl