Les disquaires rayés du paysage ?
« Lorsqu’on parle de s’arrêter à nos clients on nous dit : ‘‘c’est pas possible, vous n’avez pas le droit’’. Alors on a réfléchi à l’idée d’une Amap culturelle. » (1) Aujourd’hui, Arles frôle le psychodrame. Son disquaire indépendant est proche de la fermeture. Catherine Le Guellaut et Jean Colomina, qui font vivre Musiques-Arles depuis vingt et un ans, ont lancé un cri d’alerte : « Avec la trésorerie, nous ne tiendrons pas plus loin que fin novembre. » L’agora de la cité culturelle n’est pas restée insensible aux appels du couple. Lors de la réunion organisée autour de l’avenir de la boutique, ils étaient une soixantaine à répondre présent, clients assidus et amis fidèles…
« Dans un contexte où le marché du disque s’écroule, confrontés à la concurrence du téléchargement illégal, d’Internet ou des supermarchés, nous ne vendons plus assez », explique Jean Colomina. Pourtant, sa femme et lui proposent une démarche de « proximité, de conseil » et « citoyenne ». Depuis le début, ils donnent la part belle à la production locale et indépendante. Malgré son dynamisme, la boutique n’est plus viable. Les coupables : « le pouvoir d’achat, la crise, le chômage. » Jean et Catherine sont amers mais veulent forcer leur destin : « Il faut environ 500 personnes qui s’engagent sur un panier de 20 euros par mois pour qu’on puisse continuer. » Leurs soutiens ont promis de s’engager et d’alerter leurs réseaux.
Selon nos combatifs disquaires, rien n’est fait pour protéger la profession. Au premier rang des accusés, une fiscalité peu favorable. « Nous n’avons pas la chance, comme les libraires, de bénéficier d’une TVA à 5,5 %, dénonce Jean Colomina. De plus, avec le prix unique, les librairies indépendantes peuvent afficher les mêmes tarifs que les FNAC ou la grande distribution. » Pourtant, une organisation est censée défendre leurs intérêts au niveau national. Le Calif (Club action des labels indépendants) a pour objectif depuis 2005 de « protéger et développer le réseau de disquaires ». David Godevais, son directeur, met en avant les accords qu’il a réussi à négocier avec Universal. « C’était en effet une bonne chose qui permettait de faire des marges mais qui s’est vite arrêtée », confirme Jean. Le directeur du Calif avoue son échec relatif : « C’est compliqué de travailler avec les grands labels. »
Aujourd’hui, le Calif a renoncé à demander la TVA à 5,5 % au ministère de la Culture, qui est par ailleurs sa principale source de subventions ! En 2011, le club s’est contenté d’organiser un « Disquaire-Day » : une opération de communication sur une journée visant à redorer l’image des disquaires. « Les participants ont doublé leur chiffre d’affaires sur cette journée », s’enorgueillit David Godevais. Un miroir aux alouettes pour les animateurs de Musiques-Arles, qui n’ont pas souhaité y participer.
Autre grief : le Calif concentre plus son énergie sur la diffusion des œuvres des labels indépendants que sur la sauvegarde des points de vente existants. Selon l’organisation nationale, fini les disquaires purs et durs, il faut « expérimenter l’implantation des points de vente de disques ou vidéos dans les lieux alternatifs : magasins d’instruments de musique, lieux de concerts, salles de cinéma… ». Exemple à Apt, où Arpège Musique, l’un des rares disquaires indépendants de la région Paca, fait ses affaires d’abord en vendant des instruments de musique. « Si je garde l’activité de disquaire, c’est parce que je suis un passionné. En elle-même, elle n’est plus viable, souligne David Peron. Nous avons besoin de discours positifs sur la profession. L’objet n’est pas mort et il reste des mélomanes pour se constituer une discothèque comme on le fait avec une bibliothèque et ses ouvrages classiques. Il faut persévérer dans ce sens. »
La diversification comme solution pour la survie des disquaires, c’est aussi la solution choisie par Lollipop Music Store, créé il y a cinq ans à Marseille. « On a commencé quand la crise du disque était déjà là, explique Stéphane Signoret. Donc on savait que si on voulait exister, il fallait faire quelque chose de différent. Nous vendons des tee-shirts, organisons des concerts, des rencontres. La boutique est aussi et surtout un lieu de vie. » Mais l’équation reste instable : « Tous les mois, nous nous posons la question de notre survie. La dépense culturelle n’est pas prioritaire en temps de crise ! » À Arles, même nos disquaires « pure souche » ont développé une librairie spécialisée sur le monde occitan, le flamenco et la tauromachie, culture forte dans la ville, pour augmenter le chiffre d’affaires, avant de jouer la carte de l’économie solidaire pour résister, encore et encore, face au déterminisme économique…
Éric Besatti