Quand la culture du risque prend l’eau
Vous êtes tranquillement assis près d’un thé fumant, en train de lire votre Ravi. Soudain, vous réalisez que vous n’avez pas choisi de prendre un bain de pieds. Votre portable capte le réseau du XVIème siècle et votre téléphone fixe est devenu aussi utile qu’un gros coquillage. L’eau monte. Votre voiture est partie faire du rafting. Qu’il est bon de savoir quoi faire dans ces moments-là, lorsque l’on habite l’une des 81 % des communes de la région soumises au risque d’inondation ! Vous ne le savez pas ? Tant pis.
La logique de Tarzan
L’histoire du sud-est, elle, connaît sa trilogie, avec Nîmes (1988 : 9 morts), Vaison-la-Romaine (1992 : 46 morts) et la Dracénie (2010 : 23 morts, 2 disparus). Mais c’est sans compter les nombreuses crues ou inondations, aux bilans humains certes moins lourds, régulièrement destructrices comme à Arles en 2003. « Les crues, ça nous apprend la modestie », George Olivari. Hydro-biologiste spécialiste des rivières, maître de conférences associé à l’Université St Charles et responsable de la Maison Régionale de l’Eau (voir encadré) de Barjols (83), il poursuit : « Avant la catastrophe, c’est la logique de Tarzan qui règne : »Moi Tarzan, moi aménager l’espace à mes besoins. La rivière déborde mais je vais l’en empêcher puisque je fais ce que je veux, où je veux ». Un épisode aussi phénoménal que celui de Draguignan nous force à raisonner autrement. Durant cette catastrophe, il est tombé 400mm d’eau. Soit 400 litres au mètre carré ! »
Pour Georges Olivari, c’est simple. Plus l’on crée des digues en hauteur en détruisant les rivières, plus le courant est fort en aval. Imperméabilité totale d’immenses zones urbaines, industrialisation d’une agriculture de vastes étendues dénuées après les récoltes au détriment des anciennes restanques (murs en pierres sèches), création des digues à outrance… Ces aménagements contribuent à générer du risque en augmentant la vitesse et la hauteur du ruissellement de l’eau. « Il suffit d’aller au Conseil général du Var et de demander à voir les plans de prévisions concernant Draguignan. Trois établissements sont classés à risque : la prison, la caserne et une maison de retraite. Les trois ont connu un déferlement d’eau inimaginable. La réglementation est pourtant claire. Ce qu’il manque, c’est la culture du risque, pour pouvoir vivre avec. »
L’importance de la mémoire
En Paca, pour une moyenne de 750 mm de précipitations annuelles (soit 24 milliards de m3 d’eau), 4 milliards s’évaporent en grande partie via les forêts, 10 milliards s’écoulent et 8 milliards s’infiltrent. Mais si le chiffre de 4 milliards peut sembler faible, la forêt joue elle aussi un rôle considérable dans le cycle de l’eau. Un « simple » incendie peut d’ailleurs avoir des conséquences dramatiques plusieurs mois après le feu, en engendrant de fortes coulées de boue telle qu’a pu en connaître la commune du Beausset (83) en décembre 1999.
À l’image des Japonais ayant totalement adopté le risque sismique, nombreux sont les citoyens ou élus désormais partisans d’une « prévention active ». Piolenc (84) illustre la réussite d’une telle stratégie. « Après la crue historique de septembre 2002 qui a drainé jusqu’à 1m80 d’eau dans le centre ville, nous avons réagi, souligne Louis Drey, le maire. J’ai commandé auprès d’un géomètre un document déterminant la hauteur et la vitesse de l’eau en tous points de la commune. J’ai désormais mon petit bréviaire et mes relevés lorsque l’on vient me consulter pour construire sur un terrain. La mémoire est très importante. Nous avons installé 32 plaques de repères de crues partout dans le village. Nous organisons une dizaine de réunions de quartier préventives par an, couplées au risque incendie. Aujourd’hui, nous sommes prêts à affronter le risque. »
Morts faute de consignes
Mais à rebours de ces bonnes paroles, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs publics eux-mêmes donnent souvent le mauvais exemple, avec des infrastructures situées en plein cœur des zones à risque. Avec la destruction d’une centaine de véhicules à Draguignan, le cas des casernes de pompiers est désormais connu. Mais il faut, par exemple, y ajouter aussi la préfecture des Alpes-Maritimes, déjà inondée par le passé, également construite en zone à risque…
Un cadre administratif, présent tout au long des inondations en Dracénie, témoigne anonymement : « Lors des crises précédentes, une seule commune sur un point bien localisé était concernée. Là, c’était 44 communes dont 28 fortement touchées. Si j’ai été choqué sur le terrain par le nombre de morts, je pense finalement que cela aurait pu être pire. On pourra toujours trouver des boucs émissaires, mais je crois que tous les acteurs ont fait ce qu’ils ont pu. » Pourquoi tant de morts ? « C’est la culture du risque qui a fait défaut. Les gens qui pensaient se sauver en prenant leur voiture et qui ont trouvé la mort ne connaissaient pas les consignes. Que faut-il penser des responsables d’écoles qui ont laissé sortir les enfants, heureusement saufs, alors que l’eau montait ? Fallait-il les garder dans l’école ? Tout cela s’acquiert et pas dans l’improvisation du black-out total… »
Quand on évoque avec notre fonctionnaire anonyme l’avenir, il est catégorique. « L’État n’a plus d’argent et les grands projets d’endiguement ne trouveront plus de financement. Il va falloir être intelligent, construire une vision globale, changer les pratiques. Pour que cela ne se reproduise plus. » En Dracénie, charriées par les mouvements de panique, les rumeurs ont aussi déferlé. « Elles faisaient état de prisonniers évadés, de chiffres officiels abaissant le nombre de morts, annonçaient la remontée des eaux… Les rumeurs se sont répandues jusque dans les services de secours et l’administration. »
L’une d’elle est plus saugrenue encore. Alors que l’eau a désormais envahi votre premier étage, on raconte que dans votre inconscience du danger, vous êtes toujours là, immobile… Et que vous ne faites rien d’autre que de lire un journal.
Par Jean-Baptiste Malet
Pour tout savoir des risques dans votre commune, une référence : www.prim.net