Bataille d’eau générale !
Les trois quarts des habitants de la région ont leurs services d’eau gérés par l’une des « trois sœurs » (Saur, Suez, Veolia). Des usagers remettent en cause ce quasi-monopole des multinationales, mais sont rarement suivis par leurs élus. Troublant ? le Ravi et Mediapart se sont associés pour enquêter sur cette gestion privée de l’eau, son opacité, ses dérives, son coût…
Elles s’appellent la Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau (Cmese), la Société d’équipement et d’entretien des réseaux communaux (Seerc), la Société avignonnaise des eaux (SAE), la Société d’exploitation du réseau d’assainissement de Marseille (Seram), etc. Leur nom bien local cache de moins en moins une entourloupe : toutes appartiennent, ou presque, à la Saur, Suez ou Veolia, multinationales françaises et leaders mondiaux de la gestion de l’eau. Dans la région, il faut aussi compter avec la Société des eaux de Marseille (Sem), une filiale de l’ex-CGE délégataire de 70 communes. Au total, le privé assure 71 % de l’assainissement en Paca et distribue l’eau à 81 % de ses habitants. Un peu plus que la moyenne nationale.
De plus en plus d’usagers, parfois soutenus politiquement, remettent aujourd’hui en question ces quasi-monopoles et réclament le retour des services de l’eau en régie publique. Leur première motivation est l’explosion des tarifs. « L’eau brute vient essentiellement des Alpes. Elle est de bonne qualité et demande donc peu de potabilisation », explique pourtant un technicien du conseil régional prudent. Autres motifs de la fronde : la marchandisation d’un « bien commun de l’humanité ».
Des batailles se déroulent en Avignon (84), à Fréjus (83), Antibes (06), Briançon (05) ou encore Marseille (13) et s’appuient sur quelques (rares) expériences de retour en régie. Exemples : le DVG Serge Gloaguen à Dignes (04), depuis 2010, ou l’UMP Jean-Pierre Saez à Venelles (13), depuis 2001. Selon ces deux maires, les avantages sont évidents. « Nous n’avons pas baissé le prix, mais il n’y a plus les augmentations annuelles imposées par la Seerc. Nous avons aussi une meilleure maintenance du réseau », apprécie le premier. « En virant la Saur, nous avons baissé le prix total du mètre cube de 22 %, à 3,05 euros. Nous avons réglé l’indemnité de rupture de contrat de 1,4 million d’euros et financé notre station d’épuration sans l’augmenter », explique de son côté le second.
Leurs collègues restent sourds à ces arguments. Coût, complexité des services, normes sanitaires de plus en plus drastiques, ils préfèrent en majorité toujours s’en remettre au privé. « Nous sommes des entreprises de proximité avec la solidité d’un groupe. Nous proposons donc une grande palette de compétences, ce qui est important car nous pouvons nous adapter à chaque spécificité locale. De plus, grâce à notre recherche et développement, nous anticipons les enjeux d’aujourd’hui et de demain, en particulier les problématiques environnementales », justifie Florian Costes, « Dircom » des Eaux de Provence, antenne locale de Suez (240 collectivités gérées en Paca en dehors du « 06 »), la seule multinationale à avoir accepté de nous répondre. Contactées, relancées, la Saur et la Sem ont décliné nos sollicitations.
Florian Costes est par contre beaucoup moins prolixe sur les mauvais points régulièrement décernés aux « trois sœurs » par la chambre régionale des comptes. Intelligemment, il renvoie aux contrats et à ceux qui les signent, les élus. Leur gestion de l’eau est en effet peu claire. Exemple. « La loi a donné au privé, en 2006, le contrôle de la qualité de l’eau hors zones rurales, ancienne compétence des départements », regrette notre technicien, histoire de rappeler toutes les dérives possibles. Mieux, Michel Partages, président de l’association EAU, accuse : « En mars 2012, à l’occasion du 6ème Forum mondial de l’eau de Loïc Fauchon, le PDG de la SEM, organisé à Marseille, Sarkozy annoncera la création d’un fonds d’aide aux familles en difficultés. Mais il n’évoquera certainement pas son financement, finalement dévolu aux seuls usagers alors que le Comité national de l’eau avait proposé qu’il soit abondé à parité par les multinationales ! » L’ancien maire de Varages (83), qui y avait remunicipalisé l’eau, espère que le forum alternatif programmé à la même période sera l’occasion de faire entendre un autre discours. Et d’une bataille d’eau générale ?
Une enquête de Louise Fessard (Mediapart) et Jean-François Poupelin (le Ravi)