Moi, Bernard Tapie Ensemble, tout devient risible
Oh je sais que vous vous dites… « Tiens, Nanard ! On va se marrer ! » Je l’ai entendu des centaines, non, des milliers de fois. Je déteste, je laisse faire. Après tout, le Consortium de réalisation, le machin public qui gère les créances pourries du Lyonnais, vient de m’allonger 285 millions. A ce prix-là, vous avez un peu le droit de que je vous en donne pour votre argent. Mais quand même, ça me fait mal. Parce que je vois pas ce qu’il y a de drôle : ouais j’ai la grande gueule et la tchatche, ouais à 67 balais j’ai toujours un bronzage de GO Club Med et la tronche burinée qu’on dirait ma marionnette aux Guignols. Pourtant au fond de moi, je suis pas comme ça. J’aurais voulu être une heure, une heure seulement…
« Sentir le vent et faire monter les enchères… »
Toute ma vie ça a été une longue quête d’ascension sociale et de respectabilité. J’ai commencé vendeur de téléviseurs, super efficace mézigue. Ça me suffisait pas. J’ai fait chanteur de charme, j’aurais pu passer finir à Knokke-le-Zout, limer des mémères décorées comme des arbres de Noël. Là aussi, j’ai dit macache. Gouverneur de tripot, une banque dans chaque doigt, un doigt dans chaque pays, j’y étais presque. Avec Adidas, l’OM, le ministère de la Ville, j’ai construit un empire, posé des jalons pour prendre d’abord la région, la mairie. J’ai tout foiré : le PS du coin m’a savonné la planche, Gaudin m’a coiffé au poteau aux régionales. Et aux municipales j’ai même pas pu me présenter, OM-VA et consorts m’étaient tombés dessus entretemps.
J’ai fait 5 mois de taule, mis 20 ans à me refaire, 20 ans à batailler pour prouver que ces binoclards du Lyonnais m’avaient effectivement arnaqué, moi, Tapie, le prince de l’embrouille. La honte ouais, mais à 285 millions la risée moi je m’écrase et je palpe. Avec ce pognon, aujourd’hui, je peux tout faire. Mais je fais rien. Je suis redevenu militant de base des Radicaux de gauche « qui continuent d"avoir les mêmes idées que moi (1) », c’est-à-dire se poser le cul entre centre gauche et centre droit, sentir le vent et faire monter les enchères. Après des débuts à gauche sous Mit’rand, j’ai soutenu Sarko en 2007, puis là je dis que je participerai pas à la primaire à gauche mais que je suis pour. L’Ifop me donne à 3 % d’intentions de vote, ça aussi ça se paie !
D’ici 2012, que faire ? J’en sais rien gars. Depuis que je suis à nouveau à flot, les propositions affluent. Terminés les feuilletons télé débiles, les pièces de boulevard et les duos avec Doc Gynéco –un autre copain de Sarko, tiens. Non là c’est du brutal : « Bernard, venez racheter l’OM, Bernard, présentez-vous à la mairie de Marseille, Bernard, relancez-vous dans le business… ». Oui je suis tenté, c’est humain quoi. Mais pas con à ce point-là. Muselier, je l’ai soutenu aux régionales de 2004, mais il a autant de chances d’être candidat officiel en 2014 que moi d’avoir un quitus de la Cour des comptes. Un team-up avec Jean-Claude ça ce serait classe, mais lui il ne veut pas.
« L’esbrouffe, qu’est-ce que tu veux, on ne se refait pas »
Et pour le foot, je l’ai dit : je reviendrai en Ligue 1, mais ce sera à Paris. Toutes ces années à dauber sur les fachos de Boulogne c’est pas grave, je rachèterai un autre club, histoire de titiller le PSG pour qu’il réatteigne les sommets. Tapie patron du Red Star et aiguillon d’un Petit-Saint-Germain champion de France devant l’OM, ça aurait de la gueule non ? Surtout que je veux Pape Diouf comme président de mon club. Le flambeur sur le retour associé au vieux sage ex-agent de joueurs. Ah je sais, ça sera pas pour tout de suite. Et puis je risquerais bien d’y cramer ma fortune toute neuve.
J’hésite, putain, j’hésite. Je multiplie les interviouves, je me démène pour faire la pub au site de mon fiston, bernardtapie.com. C’est moi qui fait le spot TV, qui l’interroge sur la vidéo promo, qui assure le plan media. De là à dire que ça fera du fric… C’est sensé fournir des rabais ex-ce-ptio-nnels sur tous les types de produits via des achats en gros. En vrai ça fait que collationner les offres d’autres sites. L’esbrouffe, qu’est-ce que tu veux, on se refait pas. Le slogan c’est « Ensemble, tout devient moins cher ». Comme celui de Sarko pendant la présidentielle. Tout pareil que lui, depuis, il y a eu la crise, alors ensemble c’est plus possible. Entre moi et la France non plus, je crois. Je m’en vais émigrer aux US : là-bas, les types qui se relèvent après être tombés au fond de la fange, on leur dit bravo, on en fait même des présidents Républicains. Avec mes origines françaises, je pourrais commencer comme gouverneur de Louisiane, les remises à flot, ça me connaît.
(1) Dépêche AFP du 15 mai 2010
par Jean Valjean