Jean Viard L’Antonomase politologue

juin 2010
L'antonomase du nom propre c'est une figure de style qui consiste à employer un nom propre pour signifier un nom commun. Cela marche bien avec les marques déposées. Exemples : Frigo pour un réfrigérateur, Algeco pour une baraque de chantier, Bic pour un stylo jetable, Superglue pour de la colle forte, Kleenex pour un mouchoir jetable... ou bien Jean Viard pour un politologue un lendemain d'élection ! Avant de devenir une antonomase journalistique, Jean Viard est né en Moselle en 49 mais a grandi à Marseille. D'où il part souvent pour toujours revenir. A 19 ans, il fait 68 à Orléans. En 75, il pose à nouveau ses bagages en Provence mais à la campagne. Une pulsion baba cool qui ne l'éloigne ni des études ni des grandes villes. Après un DES d'économie à Aix, il prépare une thèse de sociologie consacrée aux vacances sous la direction d'Edgar Morin à Paris. Son éclectisme géographique est à l'image de celui de ses centres d'intérêt et de ses activités : Viard, c'est un essayiste prolixe. Pour l'anecdote, il a signé le premier livre publié par Actes Sud, dont il a été un temps secrétaire général. Viard, c'est aussi un directeur de recherche au CNRS ou encore le fondateur et directeur des éditions de l'Aube. Viard, c'est tour à tour un spécialiste des loisirs, du temps libéré, du tourisme, de la vie politique marseillaise, de l'extrême droite. Viard, c'est le bon client, qui parle clair, auquel les journalistes adorent poser leurs « 3 questions ». Viard, c'est enfin le conseiller des décideurs, jusque dans les plus hautes sphères de l'Etat : ceux par exemple de feu le Commissariat au Plan ou du ministère de l'Emploi en 2000. Il aurait pu vous en tenir à ce prestigieux palmarès. Mais en 2008, peut-être lassé par sa posture d'observateur, il franchit le rubicond en menant la bataille des municipales marseillaises auprès de Jean-Noël Guérini. Longtemps compagnon de route, souvent critique, des socialistes, le voilà élu vice-président apparenté PS de Marseille Provence Métropole. Du coup, France 3 ne l'invite plus à commenter les résultats lors des soirées électorales. Heureusement, il y a le Ravi pour perpétuer les traditions... M.G.

Avant de devenir une antonomase journalistique, Jean Viard est né en Moselle en 49 mais a grandi à Marseille. D’où il part souvent pour toujours revenir.

A 19 ans, il fait 68 à Orléans. En 75, il pose à nouveau ses bagages en Provence mais à la campagne. Une pulsion baba cool qui ne l’éloigne ni des études ni des grandes villes. Après un DES d’économie à Aix, il prépare une thèse de sociologie consacrée aux vacances sous la direction d’Edgar Morin à Paris.

Son éclectisme géographique est à l’image de celui de ses centres d’intérêt et de ses activités :

Viard, c’est un essayiste prolixe. Pour l’anecdote, il a signé le premier livre publié par Actes Sud, dont il a été un temps secrétaire général. Viard, c’est aussi un directeur de recherche au CNRS ou encore le fondateur et directeur des éditions de l’Aube. Viard, c’est tour à tour un spécialiste des loisirs, du temps libéré, du tourisme, de la vie politique marseillaise, de l’extrême droite. Viard, c’est le bon client, qui parle clair, auquel les journalistes adorent poser leurs « 3 questions ». Viard, c’est enfin le conseiller des décideurs, jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat : ceux par exemple de feu le Commissariat au Plan ou du ministère de l’Emploi en 2000.

Il aurait pu vous en tenir à ce prestigieux palmarès.

Mais en 2008, peut-être lassé par sa posture d’observateur, il franchit le rubicond en menant la bataille des municipales marseillaises auprès de Jean-Noël Guérini. Longtemps compagnon de route, souvent critique, des socialistes, le voilà élu vice-président apparenté PS de Marseille Provence Métropole.

Du coup, France 3 ne l’invite plus à commenter les résultats lors des soirées électorales. Heureusement, il y a le Ravi pour perpétuer les traditions…

M.G.

Comment interpréter le « triomphe » des abstentionnistes ? Il y a une abstention de gens qui ne s’intéressent pas à la politique. Ils savent à peine qu’il y a des élections. Et puis une autre abstention est une forme de participation. Ces électeurs qui désertent les urnes disent alors « je ne veux pas soutenir le gouvernement en place mais je ne suis pas décidé à voter pour l’opposition ».

L’UMP relativise sa défaite en expliquant que l’abstention a sanctionné l’institution régionale… On a bien fait de décentraliser mais on a créé trop de niveaux, trop de structures, trop d’élections. On ne peut pas passer sa vie à voter pour des institutions dont on ne voit pas bien à quoi elles servent (…). La France est un pays extrêmement divers. Il y a peu de pays qui sont à la fois de la Méditerranée et de l’Atlantique, Alpins et ouverts sur la plaine européenne. La décentralisation a été un pas vers la reconnaissance de cette diversité. Mais on a construit, excusez-moi, un grand bordel, où effectivement les gens ne se retrouvent pas bien. Il faut y mettre de l’ordre mais sans en remettre en cause le principe.

Comment expliquer la défaite de l’UMP dans une région où ce parti a souvent triomphé ? On a gagné en liberté dans nos sociétés. Les électeurs ont désormais le droit de changer d’avis : une fois, ils votent à droite, une fois ils s’abstiennent. On passe toutefois rarement directement d’un camp à l’autre. L’abstention est un sas… Nous sommes désormais tous des bricoleurs de convictions. Même les gens qui sont religieux. Regardez les cathos ! Ils écoutent le Pape mais seulement quand cela les arrangent. Pas quand ils passent au lit…

La stratégie du grand parti unique de la droite s’est-elle retournée contre Sarkozy ? Nicolas Sarkozy veut tout caporaliser. Au lieu d’utiliser la compétence de ses ministres, de considérer que le pouvoir c’est l’art d’arbitrer, il décide de tout. Il considère, en gros, que les autres sont des bûches. Changer trois sous-ministres après une défaite électorale de cette ampleur, ce n’est pas respectueux. C’est du mépris.

Le débat sur l’identité nationale a-t-il favorisé l’extrême-droite ? L’UMP a agité un chiffon rouge et n’en a pas complètement profité. Une question centrale se pose : on doit un jour dire pardon pour la décolonisation. Les enfants du divorce colonial n’auront une place symbolique qu’à partir du moment où l’on sera capable d’évoquer les crimes coloniaux…

Le FN a-t-il toujours de l’avenir ? Avec la crise, le chômage touche les hommes des milieux ouvriers. Le FN traduit leur drame face à la nouvelle position des femmes dans la société. Mais l’extrême droite a plusieurs visages, celui incarné par la fille Le Pen est un peu différent. Son père était entouré de gens qui ont fait la collaboration, la guerre d’Algérie au côté de l’OAS. La génération Marine Le Pen peut se montrer libérale sur le plan de la morale sexuelle, du divorce. Mais son fonds de commerce reste le rejet de l’immigration : « les autres sont gentils mais pas chez nous ! » Il nous faut donc gagner la bataille des idées en faisant le pardon colonial, en construisant un monde euro-méditerranéen…

La très large victoire du PS ne va-t-elle pas le rendre à nouveau sourd face à d’éventuels partenaires comme Europe écologie ? Le PS est un parti intellectuellement affaibli qui doit encore parcourir un long chemin. La gauche au 19ème siècle a dit « on va mettre le social au centre ». Dans le monde de demain, il faudra mettre la nature au centre. Comment le faire tout en restant sensible à la question sociale ? (…) Europe écologie a fait un bon score même si la construction politique sur un territoire nécessite d’avoir des élus, des réseaux, et que cela prend du temps. Bien qu’apparenté socialiste, je crois qu’il y a beaucoup d’idées neuves de ce côté-là. Mais pas toutes ! Pas la décroissance par exemple (…) Je comprends la logique du produire moins mais quand on est au chômage, ce dont on a envie c’est que l’on crée de l’emploi. Je ne veux pas non plus qu’au nom de la défense de la nature on entre dans un monde d’interdits…

A la gauche du PS, le Front de gauche l’a emporté sur le NPA. Ce match-là semble moins vous passionner… Olivier Besancenot est un type extrêmement médiatique et sympathique. Mais son succès est un phénomène personnel. Je ne crois pas en l’avenir du NPA, le trotskisme est une idée dépassée. Le Front de gauche me semble aussi un archaïsme. Tous ces gens n’ont pas fait l’analyse et le deuil de ce qu’était le totalitarisme.

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Leur critique sur le renoncement de la social démocratie à transformer la société trouve pourtant toujours un écho significatif dans les urnes… Dans la mouvance communiste, il y a des gens merveilleux, dévoués, qui ne veulent pas d’avantages, qui ont le sens du collectif. Je suis sensible à ça. Seulement, je suis pour le marché. Dieu sait si la politique doit le réguler car il crée des inégalités ! Mais le marché doit aussi réguler la politique, c’est lui qui nous protège du totalitarisme…

Comment expliquer la cinglante défaite du Modem ? Il a raté le virage ! Il arrive au Modem la même chose qu’à Nicolas Sarkozy : croire qu’il suffit d’un chef pour que tout s’organise autour de lui. François Bayrou est un homme intéressant mais son seul objectif c’est la présidentielle. C’est très difficile de faire le deuil d’une élection. Il n’est pas le seul dans cette situation…

L‘excellent score de Michel Vauzelle à Marseille indique-t-il que la ville est mûre pour la gauche ? La droite est en train de s’affronter en interne dans cette ville. Mais du côté des gauches, on n’est pas en reste ! Marseille est une ville de passage, de carrefour, de désordres qu’on aime parfois. Mais il manque à cette ville une logique de projet pour qu’elle plonge dans le 21ème siècle…

L’actuelle co-gouvernance entre la mairie UMP et l’agglo PS ne donne-t-elle pas un sentiment de blocage total ? La politique, ce n’est pas la guerre. Il y a des fois des trucs qui marchent très bien quand on travaille avec les gens en face (…) Même si cette co-gestion n’était pas un choix, cela peut avoir des effets positifs. J’aimerais bien par exemple qu’on puisse développer le tri sélectif dont je m’occupe en harmonie avec des gens qui peuvent être sensibles à cette question sans être de gauche…

Avez-vous conseillé à Jean-Noël Guérini de se faire élire président de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, une fonction inédite dans les statuts du parti ? Ce n’est pas mon idée. Je ne suis pas au PS dans le « 13 ». Jean-Noël Guérini a voulu réaffirmer qu’il était le patron pendant les élections régionales. Il vaut mieux avoir un seul patron que six qui s’entre-tuent…

Le climat chez les socialistes marseillais ne semble toujours pas apaisé… La politique est le dernier des métiers où il n’y a pas de diplômes. Le système de sélection des gens se fait d’une manière que je n’aime pas toujours : c’est une course avec un certain nombre de violences, parfois des coups bas. Mais au moins, on peut y arriver même si on n’a pas le bac…

Autrefois, vous critiquiez « l’archaïsme profond de la vie politique locale ». Est-ce toujours le cas ? Ce n’est plus pareil parce que j’y suis ! (rire). Que la vie politique soit archaïque, que le PS soit archaïque, peut-être plus ici encore qu’ailleurs, c’est évident. Une fois qu’on a dit ça, comment on s’en sort ? Comment redonner aux gens l’envie de faire de la politique ? C’est très compliqué…

Ne regrettez-vous pas d’être entré en politique ? J’avais 60 ans quand on m’a proposé de me faire élire. Je suis un peu un notable, directeur de recherche, éditeur du prix Nobel chinois, invité tout le temps sur les radios. Je pouvais continuer comme ça jusqu’à 80 ans. En mettant les mains dans la camboui marseillais, cela me permet de démarrer sur le terrain comme si j’étais jeune… Je ne vous dis pas comment c’est vu à Science-Po Paris ! Et puis, faire de la politique c’est un peu payer sa dette à la démocratie pour laquelle des gens se sont battus avant nous.*

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal

Ecoutez en permanence l’intégralité de cet entretien diffusé le 27/03/2010, sur le www.leravi.org. Et retrouvez en direct la Grande Tchatche sur le 88.8 FM, le samedi 24 avril à 11 heures avec un nouvel invité.

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