Grandeur et déchéance d’un omniprésident

octobre 2009
Soupçonné d’avoir mis en place les conditions permettant le recrutement douteux d’étudiants étrangers, Laroussi Oueslati n’a plus la cote. Enquête sur les tribulations du président de l’Université Toulon Var…

Samedi 5 septembre 2009. L’aube pénètre à peine dans le domicile de Laroussi Oueslati, président de l’Université Toulon Var (UTV). Le téléphone portable du conseiller régional radical de gauche sonne. « Monsieur Oueslati, je suis le chauffeur de la Région Paca chargé de vous emmener à la réunion de la majorité. La voiture est devant chez vous », entend-on depuis l’appareil. « Qui est dans la voiture ? », interroge-t-il. Deux élus sont sur la banquette arrière. Christine Sandel du groupe Vert et Bernard Barbagelata du PCF. « Alors je ne viens pas », raccroche Laroussi Oueslati qui, en ces temps de crise, ne semble pas affectionner le covoiturage.

« Laroussi a trop abusé »

« On ne le voit plus du tout, il se terre », lâche une secrétaire administrative de l’UTV. Même la berline de fonction du président, une 407 financée par un leasing de 700 Euros par mois non voté en Conseil d’administration, n’est plus garée ostensiblement devant son QG comme au bon vieux temps. Le personnage bling-bling qui aimait afficher son sourire trente-deux-dents de président modèle au JT de France 3 le vendredi, se balader un très gros cigare entre les lèvres le samedi, puis se remplir la panse au restaurant Les Pins Penchés le dimanche, a laissé son style en vacances. En revanche, « L’Auberge Provençale » continue de repaître régulièrement des délégations d’universités étrangères. « Mais voyons ! On ne peut tout de même pas recevoir ces délégations au Restau U où la nourriture est mauvaise ! Il faut faire découvrir le talent culinaire français à ces gens », s’irrite Oueslati. Désormais, pour lui, pas de régime crétois en perspective, mais des agrès de gymnastique. Cheval d’arçon avec le ministère de l’Enseignement supérieur qui lui reproche de « graves irrégularités » en convoquant un conseil disciplinaire. Barre fixe avec Michel Vauzelle qui le lâche pour les régionales parce que « Laroussi a trop abusé » selon Karim Ben Saada, élu PS à la Région. Et enfin, numéro d’équilibriste sur la poutre du Conseil d’administration (CA). Retomber les bras en croix ne semble pas pour autant blesser les chevilles du senior. Ses apparitions médiatiques sont rares. Mais l’une d’elles mérite la médaille d’or.

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Le Monde relatait dans son édition du 30 juillet 2009 des faits graves observés par les inspecteurs du ministère dépêchés sur le campus avant l’été, dont le cas emblématique d’un étudiant « admis en master 2 après avoir échoué en première année de licence à l’université de Perpignan ». Et le quotidien d’affirmer que la présidence de l’Université Toulon Var « est fortement soupçonnée d’avoir mis en place les conditions favorisant des recrutements douteux d’étudiants étrangers » (1), « un processus banal » (sic) d’après le vice-président de l’UTV, Pierre Sanz de Alba.

Le 14 septembre, une double page de Var Matin était ensuite consacrée au président. Composée d’une longue interview connivente, d’un portrait à la sérénité soviétique et d’un article de promotion pour la gestion de l’université, elle titrait « Laroussi Oueslati, victime d’une cabale ? ». Telle Blandine dans la fosse aux lions, Oueslati y tente une défense low-cost : « Je me demande si je ne suis pas victime d’une cabale. Peut-être veut-on mettre à mal une petite université du Sud de la France ? Ou punir un président atypique issu de la diversité et acteur politique ? » Exposés en CA, la différence de ton entre les deux journaux et le ridicule de l’argumentaire furent contournés par la présidence. « Il faut lire le livre de Cohen et Péan, La face cachée du Monde ! », a rugi Oueslati en tentant de ne pas perdre la sienne.

« Les dysfonctionnements sont nombreux dans cette université, juge Pascal Carrière, directeur du département de chimie de la faculté des sciences et syndicaliste d’opposition. L’exemple le plus récent est celui du recrutement d’un maître de conférences en biologie. Son poste a été officiellement créé en septembre, mais l’administration annonce ne pouvoir payer le salaire qu’en novembre ! Les circuits administratifs ont complètement explosé. » Dans le local syndical et dans les rapports d’inspection, c’est l’omni-présidence qui est mise en cause.

« Comme dans les romans de Dostoïevski »

Le recteur de l’Académie de Nice, Christian Nique, a depuis saisi la commission disciplinaire chargée d’étudier le cas Oueslati. Dans un courrier confidentiel, le recteur explique tout d’abord que « plusieurs irrégularités ont entaché la constitution de la section disciplinaire à laquelle il a été procédé lors de la séance du CA du 25 mars 2008 ». Il demande ensuite à ce que s’abstiennent de siéger dans la nouvelle section les « personnes pour lesquelles il existe une raison sérieuse de mettre en doute leur impartialité ». Mais dans les rangs syndicaux, personne ne se fait d’illusion sur l’impartialité de la future section disciplinaire. À l’Unsa, on parle même de « mascarade ». En revanche, certains rappellent que si la brigade financière venait à révéler une corruption avérée, ce serait cette fois au code pénal de venir jouer les trublions.

Alors que la nuit s’est abattue sur le campus, un maître de conférences, qui souhaite conserver l’anonymat, s’épanche sous un vieux néon clignotant. Clôturant le chapitre, mais pas la saga, il murmure : « Oueslati, c’est un personnage très complexe. Fort sympathique aux premiers échanges, il se révèle par la suite animé d’un rare cynisme. Je pensais que des gens comme ça, on n’en croisait plus que dans les romans de Dostoïevski, mais visiblement, ils existent bel et bien… » (2)

Jean-Baptiste Malet

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