Une autre région est possible

mai 2004
Entre centralisme et autonomie des comités locaux, consensus et autoritarisme, réflexions et activisme, radicalisme et réformisme, passion de la politique et méfiance vis-à-vis des politiques, Attac est le lieu de tous les paradoxes. Le plus étonnant : de crises en tensions, l'association phare de l'altermondialisme continue à fédérer en PACA militants et sympathisants.

« La démocratie a vraiment du mal à exister dans Attac. » D’emblée, Bruno , membre du conseil d’administration (CA) d’Attac Var, annonce la couleur. « La direction nationale n’est pas à un paradoxe prêt, poursuit-il. Elle ne parle que de démocratie participative mais défend depuis le début un mode de fonctionnement vertical, de haut en bas, qui laisse une place marginale aux comités locaux. » Créée en 1998, à l’initiative du Monde diplomatique (rejoint par d’autres journaux comme Charlie Hebdo, Politis…), l’association a soigneusement pris le soin de verrouiller ses statuts : les membres fondateurs [personnes physiques et différentes fédérations syndicales (CGT, SUD, SNES, Syndicat de la magistrature, Confédération paysanne…) ou associations (AC !, DAL, MRAP…)] ont la haute main sur les instances de direction. Les comités locaux représentés à hauteur de 40 % dans le CA, ne peuvent pas « renverser » les responsables parisiens. Objectifs de ce savant dispositif selon ses concepteurs : éviter un fonctionnement fédéraliste, avec ses luttes de tendances, ses noyautages politiques ; demeurer un mouvement « d’éducation populaire tourné vers l’action » ; privilégier des échanges en réseau et une culture interne du consensus.

Auberge espagnole

Bien entendu, entre la théorie et la pratique, il y a souvent comme un écart. Dernière illustration : début avril, Jacques Nikonoff, énarque atypique, « compagnon de route » du PCF avant de devenir président d’Attac, a demandé aux comités locaux de désigner, en moins de quinze jours, des délégués régionaux pour rencontrer les présidents nouvellement élus afin de définir avec eux des « alternatives au néolibéralisme ». La proposition a suscité une véritable levée de boucliers. « Tel que le projet se présente, il entraîne un changement de cap de l’association à 180 degrés : nous nous engageons politiquement aux côtés de la gauche plurielle », a protesté officiellement le bureau d’Attac Var, qui regroupe autour de 350 adhérents répartis dans trois comités. De sensibilité plutôt libertaire, Bruno , actuellement sans emploi à Cannes, ne se sent pas toujours en phase avec l’association altermondialiste. Mais il n’envisage pourtant pas de la quitter. « C’est l’aspect humain des relations entre les militants du réseau qui me séduit dans Attac, explique-t-il. Cela a plus de valeur et d’efficacité que les grandes plates-formes nationales. » Il reste mobilisé pour préparer un rendez-vous : des rencontres altermondialistes franco-italiennes, les 5 et 6 juin prochains à Bandol…

« Attac est une auberge espagnole », se réjouit, à Toulon, François Cambillard. A 57 ans, maître d’?uvre dans le bâtiment, il est venu à Attac parce qu’il ne trouvait pas d’offre satisfaisante pour contenter son besoin d’engagement dans les partis politiques. « La question du pouvoir est centrale, affirme-t-il. Cela ne sert à rien de le nier. Une association comme Attac a toutefois tout à perdre à essayer de s’en emparer. Mieux vaut rester en retrait de la sphère politique, élaborer et diffuser nos idées en veillant à ce que les partis les reprennent et tiennent ensuite leurs promesses. » Cet équilibre incertain entre distance et proximité avec les élus politiques, explique les réactions multiples, et passionnées, qu’a suscité la campagne ouvertement altermondialiste de Michel Vauzelle. « Sa conversion à la démocratie participative me semble bien superficielle, s’amuse François Cambillard. Mais que Vauzelle juge vendeur de revendiquer son adhésion à Attac prouve au moins que nos idées progressent dans l’opinion. Et puis, Attac profite bien des subventions du Conseil régional pour organiser chaque année son université d’été à Arles. »

Culture du sacrifice

C’est l’une des subtilités de la « famille » Attac : les collectivités territoriales mais aussi, à titre individuel, les élus peuvent adhérer à l’association. Il existe même une coordination des parlementaires affiliés à l’organisation (PS, PCF, Verts). Mais aucun candidat ne peut, en théorie, mentionner publiquement cette appartenance. Samuel Joshua, candidat LCR-LO en Paca, est membre du conseil scientifique national d’Attac (en charge du dossier éducation). Mais il a été plus discret que Michel Vauzelle. Pour les élections européennes du 13 juin prochain, les comités locaux soupçonnent leur direction nationale de piloter en douce la création d’une liste altermondialiste. Dans les comités locaux, les différentes filiations politiques créent aussi des tensions. Celui de Nice est fortement investi par les « alternatifs ». A Marseille, durant deux ans, sympathisants de la gauche radicale et militants proches de la gauche plurielle se sont joyeusement empoignés. « En réalité, plus qu’une querelle de chapelles, ou d’un conflit entre réformistes et “ révolutionnaires ”, il s’agissait d’un débat sur les modes et les rythmes d’actions, nuance Jean-Paul Garagnon, du bureau Attac Marseille. Certains voulaient engager la signature d’Attac dans tous les collectifs, sur tous les sujets, de la Palestine à la guerre en Irak, d’autres, comme moi, soutenaient qu’il fallait n’intervenir que sur les sujets directement liés à la critique de la mondialisation libérale et aux alternatives à lui opposer. »

Pour cet ancien militant de la LCR (« il y a bien longtemps »), désormais syndicaliste SUD chez Data System, la force d’Attac (500 cotisants réguliers à Marseille, environ 1400 dans les Bouches-du-Rhône) repose justement sur sa capacité à surmonter ses contradictions. Seul risque à éviter : « nous transformer en groupe de lobby institutionnel ». Et seul véritable regret : « Attac invente de nouvelles pratiques militantes mais avec des vieux militants. » Sur le Larzac, l’été dernier lors du grand rassemblement festif altermondialiste, les jeunes étaient nombreux. Ils sont pourtant absents dans les groupes locaux. Aix-en-Provence fait exception avec les réunions bimensuelles d’un comité campus. « Organiser toute sa vie autour du militantisme, ce n’est pas un truc propre à nos générations, explique Thomas Clerget, 23 ans, étudiant à la faculté de Sciences économiques d’Aix-en-Provence. On n’a peut-être moins, comme nos aînés, une culture du sacrifice. » Responsable d’une commission « jeune », il a toutefois co-organisé, début mars, une réunion à Aix pour préfigurer un réseau Attac des groupes étudiants. Vingt délégués étaient présents, provenant d’une dizaine de villes. « L’engagement partisan ne nous intéresse pas mais on souhaite s’investir politiquement, résume-t-il. A Attac, c’est parfois un peu trop “ plan-plan ” mais c’est là que s’élaborent de nouvelles idées. »

Michel Gairaud

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