Le (re)retour à la terre

juin 2009
De plus en plus de citadins se tournent vers l’agriculture, autour de projets mariant maraîchage bio en vente directe et activités associatives. Mais assez loin de l’esprit hippie.

« On a une vieille bicoque, on la retape tranquillement, on fait pousser des chèvres, on fabrique des bijoux, on peut pas dire qu’on s’crève, l’travail, c’est pas pour nous. » Si Le Déserteur de Renaud (1983), n’a pas perdu de sa saveur, l’idéal hippie semble, lui, avoir vécu.

« Le retour à la terre », pour reprendre le titre d’une série BD de Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri, connaît pourtant depuis quelques années le même engouement que dans les années 70. « Agriculteur devient un nouveau métier après une expérience professionnelle. Les gens ont envie de travailler dehors, de produire. L’agriculture bénéficie d’un regard plus positif », se réjouit Marie Pons, animatrice de l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural des Bouches-du-Rhône (ADEAR 13). Chaque année, la structure fondée par des membres de la Confédération paysanne accompagne 35 projets d’installation (1). La majorité pour du maraîchage en vente directe, dont un tiers labellisé bio.

« Le réalisme du projet est très important »

Peu de « gens qui rêvent » ou qui « planent », assure de son côté Max Lefèvre, directeur adjoint de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural de Paca (Safer). Cette SA à but non lucratif et d’intérêt public sous tutelle ministérielle soutient une centaine d’installations par an via ses acquisitions foncières. Les nouveaux agriculteurs sont donc aussi raisonnables que leurs productions. « Ils partagent des choses communes avec la génération de 68 – retrouver un sens à son quotidien, autonomie de la ferme, relocalisation de l’activité -, mais le projet est différent, très, très ouvert. La tendance est aux collectifs ville-campagne, avec comme idée : « venez participer, aidez-nous. » Autres nouveautés : les projets à 4, 6 ou 11 personnes. Le partage des tâches permet de prendre des vacances. Mais le réalisme économique reste fondamental », analyse Philippe Cacciabue, gérant de la foncière Terre de lien.

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Fondée il y a six ans, l’association, qui comprend également une fondation, acquiert des terres (par donation ou en faisant appel à de l’épargne citoyenne) pour les mettre à disposition d’agriculteurs écologiquement responsables (2). En Paca, elle a lancé une souscription au profit d’Agricollectif (3), un projet de maraîchage bio en Amap (4), avec gîte et pension équestre sur 10 hectares. Situé dans le Val de Chalvagne (Alpes-de-Haute-Provence), il est porté par trois trentenaires : une monitrice d’équitation de Grasse, un libraire bruxellois et un concepteur de logiciels niçois. Des écolos un peu jardiniers. « J’ai souffert pendant longtemps de me sentir dans une vie dans laquelle je ne me sentais pas, raconte Jérémy Bemon, l’informaticien. Je veux m’épanouir en travaillant avec mes mains, mon corps. Je souhaite offrir une production saine et changer un système qui n’apporte pas de réponse aux problèmes économiques et écologiques en devenant acteur. »

« Une solution radicale pour un choix évident »

Mais pas question pour le trio de se refermer. Né d’un projet associatif, Agricollectif le reste. « Les activités seront en lien avec la terre et le vivant : participer aux travaux des champs, culture, etc. Avec comme principe l’autogestion », poursuit le Niçois. Pour apporter les premiers fonds et acheter l’habitation, « par sécurité », il a vendu son appartement. Et résume : « C’est une solution radicale pour un choix évident. » Si l’appel à épargne citoyenne réunit les 100 000 euros manquants d’ici le 20 juin, le gîte et la pension équestre ouvriront cet été.

« Ca marchera », assure Sylvain Musseri. A 33 ans, le jovial cofondateur de l’Equitable café (Marseille) et chroniqueur culinaire du Ravi part s’installer en location à côté de Forqualquier avec compagne et enfants. D’ici deux ans, il espère monter un projet similaire à Agricollectif. En discussion avec cinq familles, le « futur paysan », comme le Marseillais d’origine aime à se présenter, réfute tout rapprochement avec les « babas » des glorieuses années. « On va utiliser leur expérience, mais le contexte est différent. Je veux une vie ouverte, associative, un projet intergénérationnel, qui n’est pas aujourd’hui partagé par tout le monde, avec des gens qui travaillent sur place et d’autres à l’extérieur. »

Titulaire d’un brevet de technicien agricole, le trentenaire a baroudé, remplacé des amis agriculteurs l’été, jardiné, fabriqué des liqueurs… Il y a dix ans, il avait déjà un projet collectif de ferme-auberge. Il sourit : « En ville, je m’éparpille et je dis tout le temps non à mon fils. Je me sens de sortir pieds nu et d’entendre les oiseaux. » Au chômage depuis son départ en février de l’Equitable café, après avoir « beaucoup gueulé », Sylvain Musseri espère « éveiller les consciences » : « Il y a des techniques de production qui demandent un minimum d’intervention et d’arrosage. C’est bon pour la terre et je veux montrer qu’on peut gagner sa vie sans travailler tout le temps. »

Lors de son premier rendez-vous au Pôle emploi, l’agent l’a sermonné : « On n’est pas là pour financer votre rêve ! » Passionné, Sylvain Musserie rigole : « Je vais faire de l’agriculture feignante ! » Finalement, il reste quand même quelque chose des idéaux des années 70…

Jean-François Poupelin

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