Hoareau, leader à plein temps des chômeurs marseillais

mai 2004
Le mouvement des chômeurs semblait moribond. La bataille juridique des « recalculés », les remet sur le devant de la scène. Une fois de plus, le sursaut est venu de Marseille. Et d'un homme : Charles Hoareau.

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« En quatorze ans, j’ai eu quatorze condamnations ! » s’amuse Charles Hoareau. Mi-avril, alors que le tribunal de grande instance de Marseille s’apprête à rendre un jugement en faveur de trente-cinq chômeurs « recalculés » par l’Unedic, le vibrionnant chef de file des comités de chômeurs CGT fait à nouveau l’objet de poursuites judiciaires. Soutenu par son syndicat, Hoareau refuse de se prêter à un prélèvement biologique destiné à l’inscrire au fichier national des empreintes génétiques (FNAEG). La convocation intervient suite à une condamnation, en 2000, à cinq mois de prison avec sursis pour « violence volontaire », lors de l’intervention du comité pour empêcher l’embarquement d’un sans-papiers en cours de régularisation. (1)

Dès la fin des années 80, le destin de Hoareau, figure emblématique et grande gueule, est lié à celui des comités chômeurs. Le premier d’entre eux est créé en 1989 à la fermeture des chantiers navals de La Ciotat, alors que les ouvriers se battent pour préserver leur emploi. Bientôt, les militants cégétistes et communistes passent de l’usine aux cités et tentent d’organiser les chômeurs à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône afin de lutter contre « l’urgence sociale ». Ils se mobilisent pour empêcher des expulsions, faire rétablir l’électricité dans certains logements, permettre l’accès aux cantines scolaires. A l’instar des associations de chômeurs qui émergent partout en France (AC!, Apeis, MNCP…), ils pratiquent les occupations d’antennes Assedic, de sociétés HLM ou de France Telecom, afin de faire entendre ceux qui, étant privés d’emploi, se retrouvent privés de tout.

Charles Hoareau fréquente régulièrement les postes de police et les tribunaux. Lancées à partir de 1993, les manifestations pour la prime de Noël structurent le mouvement et les médias commencent à s’y intéresser, au moins de façon saisonnière. La CGT, par ailleurs en France seul syndicat de salariés à organiser les chômeurs, apparaît dès lors comme leur représentant légitime dans la région marseillaise. Avec 1500 syndiqués fin 2003, le comité chômeurs des Bouches-du-Rhône s’appuie sur une organisation syndicale traditionnelle, très structurée, qui lui permet une grande visibilité dans les manifs. Des membres du comité participent aux luttes des autres branches du syndicat comme, récemment, en soutenant les salariés d’EDF contre la privatisation de l’entreprise. Pour autant, la méthode Hoareau ne convainc pas tout le monde, y compris au sein de son propre syndicat. Le militant, membre du PCF devenu Rouge vif, prend ouvertement ses distances avec la ligne jugée trop « réformiste » de Robert Hue ou de Bernard Thibaud.

La victoire juridique du 15 avril a pris une énorme valeur symbolique pour le mouvement. « Le juge a clairement repris certains de nos arguments à son compte », souligne Charles Hoareau, notamment celui qui consiste à reconnaître le lien contractuel entre les chômeurs signataires du fameux Pare et l’Assedic. Et donc à considérer le « recalcul » des indemnités comme une rupture de contrat illégale. « C’est une reconnaissance, les gens ne pourront plus nous considérer comme des fainéants et les chômeurs vont peut-être arrêter de culpabiliser, déclare un militant varois, ancien cadre dans le BTP. Avant, les comités étaient surtout en relation avec des chômeurs de longue durée, vivant dans la misère. Maintenant, on voit de tout, des gens qui viennent de travailler dix, quinze, vingt ans et qui ne seraient pas allés a priori vers la CGT. Parmi les “recalculés“, il y avait même une créatrice de PME. »

Pour les comités, l’avenir passe désormais par la participation à une refonte du régime d’assurance-chômage, comme chacun sait sérieusement amoché. Ceci suppose une mobilisation massive et durable, au-delà des « recalculés » et de leurs supporters. En 2000, l’idée d’un « Grenelle de l’assurance chômage » avait été lancée, soutenue par le PC et la LCR. « Mais nous n’arrivons pas à tout faire, râle Charles Hoareau, C’est difficile de mobiliser les chômeurs sur des sujets comme ceux-là, parce que cela leur paraît très loin du quotidien. Contrairement à la prime en fin d’année. » (2) Au lendemain du délibéré du 15 avril, celui que La Marseillaise, romantique, surnomme le « Robin des bois des chômeurs » se montrait une nouvelle fois optimiste : « Ils ont fait l’expérience de l’efficacité des syndicats. On peut s’attendre à des milliers d’adhésions ! »

Laurence Allard

1. La loi Sarkozy sur la sécurité intérieure votée en mars 2003 prévoit d’étendre le FNAEG, destiné au départ en 1998 aux crimes sexuels puis aux crimes graves (meurtre, terrorisme, grand banditisme), aux actes de petite et moyenne délinquance. Ce qui revient à mettre sur le même plan un leader syndical et un pédophile. 2. Dans une interview à Rouge, hebdo de la RCR, le 6 avril 2000.

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