Laure Manaudou, nageuse : La crise d’ado qui vaut de l’or

novembre 2008
L'ex plus grande nageuse française a choisi le Cercle des nageurs de Marseille pour rebondir après ses calamiteux JO de Pékin. Si tout le monde parle d'argent, les vraies raisons de la venue de Laure Manaudou sont ailleurs. Marseille est en effet une place forte pour le traitement des adolescents en crise.

Melun, Canet-en-Roussillon, Turin, Ambérieu-en-Bugey, Mulhouse et maintenant Marseille. Ce qui est bien avec la natation, c’est qu’il y a des piscines un peu partout. Du coup, on peut voyager sans trop de difficulté. Tiens, cet été, je suis même allée à Pékin ! Vous ne vous en souvenez pas ? Normal, j’ai tout raté. Heureusement qu’Alain Bernard a bombé le torse, ça m’a évité d’avoir trop de monde sur le dos. Dernière de la finale sur 400 mètres nage libre, avant-dernière de celle de 100 mètres dos, même pas qualifiée pour la finale du 200 mètres dos, abandon sur le 4×100 mètres quatre nages. 20rv57trax_manaudou.jpg

En Chine, j’y ai fait mon overdose de natation. On est comme ça, nous, les sportifs français. On a besoin d’être de l’autre côté du monde pour faire notre grand numéro tragique. Rappelez-vous Marie-Jo Pérec à Sydney en 2000 ou l’équipe de France de foot à la Coupe du monde en Corée en 2002. C’est notre côté intello, l’éloignement nous amène à des réflexions existentialistes. Et quand un sportif se questionne, il doute, et quand il doute… il est nul. Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ? Depuis 22 ans que je suis sur terre, j’en ai passé 18 dans l’eau ! A plus de 15 km par jour avec 50 mètres dans un sens, 50 mètres dans l’autre, ça vous fait 150 allers-retours dans la journée ! ! ! Quand vous sortez de là, votre cerveau ne tourne pas très rond. C’est pour cela qu’il faut être entourée, protégée, bichonnée.

Philippe Lucas avait compris ça, lui. A 14 ans, il m’a sortie de ma famille pour m’emmener avec lui à Melun. Il y a été mon entraîneur, mon père, mon frère, mon ami, mon confident. J’ai grandi en ne regardant que ses yeux bleu acier qui me disaient toujours : « nage ». C’était mon unique Dieu. Il a fait de moi la Ferrari des bassins, me faisant quasiment tout gagner entre 2005 et 2007. Mais côté cerveau, il était pas trop équipé pour m’aider. Quand j’ai fait mon complexe d’Oedipe à 20 ans (oui, je sais, c’est un peu tard, mais quand on nage, on n’a pas le temps de penser au cul), je me suis rendue compte qu’il ne serait jamais l’homme de ma vie. Alors, j’ai pris un Lucas de substitution.

Et j’y suis pas allée de main morte : j’ai choisi un Italien qui s’appelait Luca Marin ! Et à partir de là, je suis vraiment partie en biberine. Une vraie crise d’adolescente avec fugue en Italie, exploration sexuelle en direct sur Youtube, rupture, crise de larmes, appel de détresse à la famille. Et plus j’étais dans le brouillard, plus les médias me tombaient dessus. Alors que j’avais fini par m’habituer aux questions idiotes des journaleux de l’Equipe, là, c’était les gens de Voici, Paris Match ou Gala qui venaient me photographier et me questionner sur des choses aussi importantes que la couleur de mes chaussures. Comment voulez-vous préparer des Jeux Olympiques dans ces conditions ? A Pékin, je savais que j’allais boire la tasse. Ce que je n’avais pas prévu, c’était plutôt mon retour en France. Je n’imaginais pas être autant demandée ! Qu’est-ce que vous voulez, on aime bien les loosers chez nous. C’est Lagardère qui m’a fait les yeux doux en premier. Il y avait un gros chèque à la clé et la vie parisienne qui allait avec. Mais c’est pas de cela dont j’avais le plus besoin. J’avais perdu mon mentor, je n’avais pas réussi à retrouver une stabilité avec ma famille et mon frère, il ne me restait plus que les copines. Alors, je suis allée pleurer dans les jupes d’Anne-Sophie Le Paranthoen à Marseille. Elle a 10 ans de plus que moi et surtout, elle fait de la brasse. Et quand elle a vu que je brassais toutes les nuits dans mon lit en me demandant ce que je devais faire, elle a su trouver les bons mots. « T’embête pas avec tout cela, vient dans mon club, c’est cool, il y a une plage privée pour bronzer. Car ce qu’il faut en priorité quand on est déprimée, c’est de la vitamine D ! » C’est là que j’ai découvert le Cercle des nageurs (*). Rien que le nom, ça m’a déjà rassurée. Oh oui, j’ai besoin d’un cercle d’amis autour de moi qui me protège du monde trop dur qui existe en dehors des bassins et que j’ai découvert ces 2 dernières années.

Paul Leccia, le patron du Cercle l’a bien compris. D’abord, il ressemble à un grand-père avec tous ses cheveux blancs qui tombent sur ses épaules. Et puis, il a engagé ma copine Estelle Baron exprès (**). Il m’a ensuite dit qu’au Cercle, je serai tranquille pour m’entraîner car il avait fixé des prix d’adhésion à l’année tellement exorbitants qu’ils n’y a que les riches qui peuvent s’inscrire (***). Et, c’est bien connu, les riches ne nagent pas, ils vont tous au solarium. Il m’a également affirmé que côté médias, je serai plus tranquille à Marseille qu’à Paris parce qu’ici, il n’y en a que pour l’OM. Enfin, et c’est vraiment ce qui a fini par me convaincre de venir dans le sud, il m’a dit que je ne serai pas seule, que je ferai partie d’une équipe de 15 nageurs, « le Team Marseille 2012 by CNM » pour préparer les Jeux Olympiques de Londres.

Moi, je ne savais pas qu’on pouvait se présenter au JO en tant que club de ville, mais bon, il paraît qu’à Marseille, depuis qu’ils ont eu la culture en 2013, tout le monde veut son équipe avec une année derrière. Enfin, c’est comme ça qu’on peut trouver 400 000 euros de financement (***). Heureusement, c’était avant la crise financière.

Jean Tonnerre

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