In, off, out ?

novembre 2008
Même en automne, LE festival pèse sur la vie culturelle de la ville, qui ne se résume pas à un feu de paille estival. Mais qui se souvient qu'Avignon a été capitale culturelle européenne en 2000 ?

A défaut de jouer dans la cour des grands, Avignon joue dans la cour d’honneur du Palais des papes. Le festival de théâtre est devenu l’incontournable rendez-vous des producteurs, consommateurs et négociants d’un art dit dramatique. Le terme est d’ailleurs approprié pour qualifier la dérive vers le café-théâtre d’une partie du « off ». Fondé en 1947 par Jean Vilar pour rendre accessible des ?uvres jusqu’alors réservées à l’intelligentsia parisienne, le festival s’est depuis intégré à la ville, du moins à sa partie la plus prospère dans l’écrin des remparts.

« Entre le festival et la ville, la relation est passionnelle », commente Hortense Archambault, co-directrice du festival avec Vincent Baudriller. L’implantation du festival dans les quartiers périphériques ne lui semble pas pour autant prioritaire ! « Les habitants de ces quartiers préfèrent venir voir des spectacles dans la cour d’honneur du palais plutôt qu’au pied de leur immeuble », assure-t-elle.

Entre le « In » et la mairie, la passion est tempérée de raison raisonnable, reflet d’une certaine interdépendance. Si la ville assure 20 %, du budget annuel, c’est un investissement dont la rentabilité ne fait aucun doute. Le festival rapporte à l’ensemble des acteurs économiques quinze fois ce qu’il coûte ! Jadis en froid avec Bernard Faivre d’Arcier, l’ancien directeur, Marie-Josée Roig entretient désormais avec le « In » une entente cordiale. Son soutien se voit renforcé par l’implantation à Avignon de l’ensemble de l’équipe du festival, achevée cette année. Si, après 62 éditions, la pérennité du festival est désormais acquise, le consensus n’est pourtant pas exempt de critiques ni de frottements. Ainsi, Ahmed El Attar, directeur de la compagnie du Temple Théâtre au Caire, s’est récemment ému de la faible représentation des ?uvres issues du monde méditerranéen dans la programmation du festival. Hortense Archambault appréhende ces propos avec philosophie : « Avignon c’est symbolique, tout le monde a une idée sur le festival ».

Le « Off » cristallise aujourd’hui le maximum de critiques. De l’intérieur, tout d’abord, avec une crise apparue en 2007 autour de l’association représentative des compagnies et théâtres impliqués dans le « Off » : Avignon Festival & Cies (AFC), assignée en justice par une autre association (Avignon-Off). Motif ? Une clause d’exclusivité imposée par AFC aux compagnies affiliées qui serait contraire au droit. Les plaignants ont été déboutés par les tribunaux. « Il faut cadrer le off », reconnaît Frédéric Muhl, vice-président d’AFC. Depuis sa fondation, dans les années 60, le nombre de spectacles proposés et de lieux de représentation n’a cessé d’augmenter pour atteindre près de 1000 spectacles dans 100 lieux en 2008. Certains jouent la carte commerciale avec une qualité artistique qui laisse franchement à désirer. « Nous défendons un Off de création, il faut mettre en place une charte », reconnaît AFC. La relation entre le « Off » et la municipalité d’Avignon est presque inexistante. Si les théâtres sont reçus individuellement par les services de Marie-Josée Roig, ce n’est pas le cas d’AFC. Elle n’est pas non plus officiellement invitée au forum européen qui aura lieu à Avignon du 16 au 18 novembre prochain sous le double parrainage de Christine Albanel et Renaud Donnedieu de Vabres sur le thème « culture, facteur de croissance ». « Visitez Avignon, sa beauté éphémère, son immobilisme séculaire » pouvait-on lire en 2000, sur des affiches, paraphées d’un mystérieux « PLOUC ». Et de fait, 8 ans plus tard, qui se souvient encore qu’Avignon fut en 2000, avec huit autres villes, couronnée capitale européenne de la culture ? Les traces de l’exposition « La Beauté » s’estompent déjà dans les mémoires malgré le coût exorbitant de l’événement.

Aucun dispositif pérenne n’en est aujourd’hui le fruit. A l’exception peut être du réseau Trans Danse Europe, créé à l’initiative du festival de danse contemporaine Les Hivernales, peu médiatisé, ou de la Collection Lambert… Eric Mézil, directeur du musée d’art contemporain, nuance : « La Collection Lambert n’est pas un projet à part entière d’Avignon 2000, même si nous nous y sommes intégrés. Pour ma part, je regrette vraiment qu’il n’y ait pas eu de commande publique, pour un lieu ou une création pérenne. Marseille-Provence 2013, j’y crois. J’en espère beaucoup, mais il ne faudra pas tomber dans les travers d’Avignon 2000 ». Deuxième écueil avignonnais à contourner pour le projet 2013 : le manque d’implication des intervenants locaux. « Le défi, c’est la participation du public, comme à Lille 2004 avec les Maisons folies dans des quartiers ouvriers », ajoute Eric Mézil, encore déçu par le refus de Marie-Josée Roig d’intégrer le territoire de Marseille-Provence 2013. « Ouf !», souffle à l’inverse Patrick Guivarch, directeur des salles de cinéma indépendantes Utopia. Avignon en capitale européenne de la culture, on a déjà donné. C’était de l’événementiel, un miroir aux alouettes mené uniquement selon une stratégie de tourisme culturel. » Une culture-marchandise qu’il récuse, lui qui se fait porte-voix d’un « contre-forum », le 17 novembre, pour débattre autrement de culture avec, entre autres, les chercheurs Philippe Corcuff et Raoul-Marc Jennar. Forum contre forum, Avignon est bien encore aujourd’hui un espace de débats et de confrontations indispensable dans le paysage culturel.

Célia Pascaud & Xavier Thomas

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