« On a été trahi ! »

mars 2008
A partir du 13 mai 68, Paca a vécu au rythme de la grève générale. Cinq militants, acteurs ou simples « héritiers » du mouvement, témoignent. Entre nostalgie, désillusions et espoirs...

Alexandre Briano, artisan anarchiste à la retraite, 35 ans en 68

« On a bien rigolé ! »

« J’avais trop de boulot pour participer pleinement : les gens aisés anticipaient leurs travaux par peur d’une inflation galopante. Ce qui fut le cas ! Par contre, mon atelier était un forum permanent : s’y retrouvaient des vieux gaullistes, des communistes, des anars, des « jean-foutre »… Discussions la journée, fête le soir ! On jouait de la guitare, on buvait de la gnole et un peu de marijuana tournait. Mais jamais de haschich ! Les gens contestaient surtout le gaullisme : on sortait de la guerre d’Algérie, on avait l’impression que les libertés avaient été abolies. Mais personne n’était prêt pour la révolution. On s’est fait le plaisir d’arracher l’affichage des messes dans tout le département ! On a bien rigolé… » 10rv50moix_bio.jpg Joseph Canapa, ancien secrétaire départemental de la CGT PTT du Var, 26 ans en 68

« On a été trahi ! »

« J’étais un des responsables du comité syndical PTT, qui regroupait toutes les organisations professionnelles. Il y avait de la fraternité, beaucoup de solidarité aussi : on organisait des bals alors qu’on avait pas un rond, mais deux à trois fois par semaine des paysans déversaient des patates et les pêcheurs des salins, des sardines. A Toulon, les manifestations regroupaient jusqu’à 20 000 personnes. L’arsenal, les PTT, EDF et les cheminots représentaient les premières forces syndicales. On voulait un changement de société et politique. Mais les syndicats étaient très prudents. On a été trahi ! Cette soif de changement a entraîné des évolutions. Exemple : à l’époque les hommes étaient machos et les seuls à militer. Après 68, ma femme a décidé de s’investir à son tour. Je ne disais rien parce qu’on s’était battu pour, mais ça me travaillait…» 10rv50jpsx_68.jpg Jean-Marc Cavagnara, secrétaire départemental de la CFDT des Bouches-du-Rhône, 15 ans en 68

« J’ai l’impression de revenir 40 ans en arrière »

« On était très « Elections, piège à cons ! » On ne voulait pas non plus de la vie de nos parents. En mai ils n’ont eu le choix : on a fait ce qu’on voulait. Il était question d’utopie, de liberté, de rêve… Le mouvement était autonome, avait sa propre économie, ses réseaux et ses rites : les AG, les manifs, la fête, les concerts…. Cet esprit, je le retrouve dans la culture underground et chez le nouveau prolétariat. Des mouvements comme ceux contre le CPE ou des caissières du Carrefour Grand Littoral (Marseille) reprennent cette révolte. Sans compter des parallèles avec le contexte de 68 : profondes mutations (mondialisation…), inquiétudes sur la situation internationale, nouvelles références (Marcos, Venezuela)… Par contre, quand j’entends Sarkozy, j’ai l’impression de revenir 40 ans en arrière. » 10rv50fathy_carre.jpg Serge Dées, intermittent du spectacle, 15 ans en 68

« Je suis un héritier de 68 »

« Mon père n’a pas participé au mouvement. C’est pour moi, l’acte fondateur de mon anarcho-syndicalisme. Il a ensuite été renforcé par des rencontres : des sursitaires de 68 pendant mon service militaire, dont certains le vivaient comme l’expérience de « l’établi » (les intellectuels à l’usine), des syndicalistes, des prêtres ouvriers… Dans les années 70, le mois de mai est toujours resté la référence. Ce fut le cas dans les conflits à la Solmer, une coopérative industrielle de toute la sidérurgie française et européenne, où j’étais agent de contrôle des hauts-fourneaux et élu au comité d’entreprise. En 1978, pendant trois semaines, on a réussi à arrêter les hauts-fourneaux sans grévistes ! La transmission par certains soixante-huitards de leur expérience à des jeunes se poursuit comme par exemple à RESF (Réseau éducation sans frontière). » Jean-Claude Labranche, membre du bureau départemental de la CGT des Bouches-du-Rhône, 11 ans en 68

« De nouvelles formes de lutte restent à inventer »

« Dans les Bouches-du-Rhône, au plus fort du mouvement, 150 usines étaient occupées : la métallurgie, les chantiers navals, le bâtiment, les dockers, l’agroalimentaire… Il y avait 200 000 grévistes. A Marseille, jusqu’à 50 000 personnes défilaient ! Dans le « 13 »i, la CGT était très alignée sur la position de Séguy (alors secrétaire général du syndicat, Ndlr) : ne revendiquer que sur les questions sociales et prendre garde aux ordres de grèves insurrectionnelles. La consigne a été parfaitement suivie, puisque le mouvement a été très structuré. Sans « chienlit » Même si on peut le regretter, cela a permis l’acquisition de bonnes pratiques : aujourd’hui, on sait toujours avoir des défilés organisés. Marseille rassemble d’ailleurs désormais autant de monde que Paris pour les grandes manifestations ! Le côté négatif, c’est qu’on n’est plus sur des enjeux de transformation sociale. Si le mouvement social est toujours aussi vivace, il est plus fragmenté. De nouvelles formes de luttes restent donc à inventer. »

Propos recueillis par J-F. P.

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