Un toit sous le soleil

juin 2004
Se loger dans les Alpes-Maritimes devient une gageure. Vite, il faut faire quelque chose. Mais quoi ?

« La situation est grave, et bientôt désespérée ». C’est en substance en ces termes alarmistes que l’observatoire immobilier de l’habitat Côte d’Azur, émanation de la chambre de commerce et d’industrie (CCI), présente la situation du logement dans les Alpes-Maritimes. Jean-Marie Ebel, président de la fédération des promoteurs et constructeurs 06, va jusqu’à évoquer une pénurie organisée. « Et ce sont les actifs qui sont les premiers à décrocher », précise-t-il. Les actifs et les autres ; plus généralement, tous ceux qui ne sont ni des retraités fortunés, de préférence anglo-saxons, ni des investisseurs, les seuls à pouvoir encore accéder au marché de l’immobilier sur la Côte d’Azur. Les autres donc, ceux qui y vivent et y travaillent, se débrouillent, habitent dans des placards ou chez leurs parents. « Dans mon canton, nous raconte Paul Cuturello, conseiller général PS de Nice, je constate des situations de surpopulation d’appartements que l’on ne voyait plus depuis l’immédiat après-guerre ». Et si la CCI s’en inquiète, c’est que la situation économique en pâtit. « Ma capacité de développement économique est limitée du fait que mes employés n’arrivent pas à se loger », explique ainsi Jean-Pierre Clarac, urbaniste-paysagiste à Sophia-Antipolis. Dernièrement, la moitié des 200 policiers promis par Sarkozy ont refusé leur mutation dans le département, de peur de devoir s’inscrire au DAL. Les actifs qui se résolvent à faire quand même le grand saut profitent de taux d’emprunt particulièrement bas et s’endettent sur des durées deux fois plus longues qu’il y a dix ans. Une légère remontée des taux de 1%, et c’est 10% de pouvoir d’achat perdu. Et encore achètent-ils plus petit que ce qu’ils louaient : Jean-Marie Ebel n’explique pas autrement que « dans neuf cas sur dix, la location d’un garage sert à stocker des meubles en trop », avant de résumer : « on est au bout du bout ».

C’est toute la chaîne qui se bloque. Le logement social servait en quelque sorte de sas avant une acquisition : on profitait d’un loyer peu élevé pour économiser avant d’acheter. Mais devant la flambée des prix, l’achat est repoussé, d’où un manque de rotation dans des logements sociaux déjà trop peu nombreux. Optimistes, les experts de la CCI annoncent que les prix devraient baisser en 2004 et 2005, avant de préciser que cette baisse devrait surtout concerner les immeubles de standing. Et pendant ce temps, les locaux à usage professionnel ne trouvent pas preneurs, les stocks dans ce secteur représentant plus de trois années de commercialisation, contre cinq mois pour les logements… Faux paradoxe, puisque c’est la pénurie de logements qui freine l’activité économique, donc la vente de bureaux.

La CCI a avancé « 12 propositions pour le logement des actifs dans les Alpes-Maritimes », avec, au milieu de beaucoup de déclarations d’intention, quelques mesures concrètes comme « identifier dans les Plans locaux d’urbanisme (PLU) plusieurs emplacements réservés à l’habitat… » ou « mobiliser l’établissement public foncier régional et développer une politique de réservation foncière… ». Il est toujours plaisant de voir des entrepreneurs en appeler à la puissance publique pour réguler le marché, après avoir profité à plein de la spéculation immobilière…

Les entrepreneurs veulent du social

Parmi ces 12 mesures, 5 concernent le logement social : c’est dire la gravité de la situation. Certaines sont des v?ux pieux (« augmenter les moyens financiers consacrés par l’Etat et les collectivités locales… ») ou de la simple communication « pour corriger l’image du logement social », deux autres disent peu ou prou la même chose sur le 1% logement. La dernière préconise des mesures incitatives pour louer les logements vacants, comme si les riches retraités qui n’occupent qu’un mois par an leur appart de la Croisette avaient besoin de ça pour vivre. Après avoir bétonné à tout crin le littoral avec des résidences de standing, les entrepreneurs semblent avoir pris la mesure du problème, mais tâtonnent pour trouver une solution. Le développement du logement social en est certainement une, mais elle dépend surtout des élus, lesquels répètent à qui veut l’entendre qu’ils ont pris, qu’ils prennent ou qu’ils vont prendre des mesures.

« Logement social : une pierre à l’édifice », « La ville s’active de plus en plus », titre ainsi à quelques jours d’intervalle Nice Matin, avec force photos de Dominique Estrosi, en charge ce dossier à la fois à la ville de Nice et à la communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur (CANCA), inaugurant de nouveaux logements sociaux, en chantier ou terminés. La réalité est tout autre, comme le montre le tableau ci-dessous. La construction de nouveaux logements sociaux stagne désespérément, à Nice, à la CANCA ou dans l’ensemble du département. On est encore loin, très loin, des objectifs de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU).

Les élus avancent, avec raison, le manque de place sur le littoral et le coût exorbitant du foncier sur la Côte d’Azur. Pourtant, des solutions existent. Le département et l’Etat, même s’il a tendance actuellement à se faire tirer l’oreille quand on lui parle de logement social, subventionnent la surcharge foncière, les organismes de logements sociaux peuvent bénéficier d’un taux de TVA réduit, d’une exonération pendant quinze ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de prêts à des taux bonifiés de la part de la Caisse des dépôts, sans parler du fameux 1% logement. Le coût du foncier est une fausse excuse, c’est bien la volonté politique qui manque. Et ce d’autant plus qu’une étude récente réalisée pour le compte de la Direction régionale de l’équipement montre que, si le logement social a une mauvaise image, c’est davantage auprès des élus que de la population.

Le béton ou la mort

La Côte d’Azur est à un tournant. Doit-elle s’arc-bouter sur ses derniers espaces verts ou s’ouvrir pour garder ceux qui y sont nés et accueillir ceux qui veulent y vivre ? Doit-elle se muséifier ou se bétonner ? Choisir la qualité de vie ou le développement économique ? Jean-Pierre Clarac, urbaniste-paysagiste à Sophia-Antipolis, prétend pouvoir concilier les deux et offrir à ceux qui veulent rester au pays ou venir y travailler un logement dans des conditions « Côte d’Azur » : une maison pour loger une famille avec des enfants, une terrasse au soleil, une petite piscine « et un oranger pour faire la confiture ». Honoraires d’architecte compris, explique-t-il, il est possible de construire pour moins de 76 000 euro une maison chauffée à l’énergie solaire (voir plan). Le problème, c’est la spéculation immobilière qui a rendu les terrains inabordables. « Le terrain coûte tellement cher qu’y accueillir des maisons modernes, en bois ou en matériau composite, n’a pas de sens, la collectivité l’interdit. Il faut donc inventer du foncier, que chaque collectivité mette sur le marché un terrain dont il est propriétaire pour accueillir ce genre de projets, à raison de 15 maisons à l’hectare ». Là encore, les outils existent pour proposer ces terrains à des prix décents. Les zones d’aménagement différé (ZAD) permettent d’exercer pendant quatorze ans un droit de préemption. Toute opération pour la maîtrise du développement urbain peut justifier l’institution d’une ZAD, à condition qu’il s’agisse d’une véritable opération d’urbanisme. Mais là encore, il s’agit d’une décision politique qui relève exclusivement de la compétence de l’Etat. Mouans-Sartoux l’a fait, Valbonne, Biot, Le Rouret s’y refusent.

On pourrait ainsi trouver de l’espace pour accueillir 1000 personnes ici où là, selon la bonne volonté des communes, mais, pour Jean-Pierre Clarac, cela ne résout pas le problème à long terme. « Il faut que la Côte d’Azur quitte son aire pour inventer de nouveaux territoires. Monaco le fait, et prévoit des îles pour doubler sa surface. En dessous d’une ligne Grasse-Vence, on peut plus rien faire, il faut investir de nouveaux territoires vers l’ouest, au-dessus de Grasse, vers St Vallier, Courmes, St Jeannet, le plateau de Caussol ». Et Clarac de donner l’exemple de Sophia-Antipolis : « à son époque, c’était un nouveau territoire, on n’a marché sur les pieds de personne, et sur 500 hectares, on a pu créer 30000 emplois et 45000 logements, entourés de 2000 hectares de parc. » Philippe Perret, adjoint au maire de Vence délégué aux sports et à l’environnement, donc directement concerné par les visions utopiques de l’urbaniste, ne l’entend pas de cette oreille : « On a clairement atteint les limites du territoire, en terme d’habitants comme d’infrastructures publiques ». Dans les années 70, explique-t-il, Vence avait un projet de ville nouvelle sur le modèle de Carros, au Plan des Noves vers le col de Vence. « Finalement, ça ne s’est pas fait. Et heureusement : on a découvert par la suite que le Plan des Noves était le réceptacle des eaux de pluie ». « Entre Revest (lire par ailleurs) et le projet de Clarac, je choisis nettement Revest », conclut-il.

Gilles Mortreux

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