Gaston Deferre, maire de Marseille pendant 23 ans…

mai 2006
Nous célébrons ce mois-ci le vingtième anniversaire de la mort de Gaston Defferre, qui fut pendant trente-trois ans maire de Marseille. Ses mânes, qui n'en finissent plus de hanter la ville, ont accepté de se mettre à table.

Le fantôme de l’Hôtel de Ville

30lop_gaston.jpg « Gaston y’a le guéridon qui tourne et y’a jamais person qui répond ! » Eh oui, c’est moi Gastounet, mais là j’ai accepté de répondre, parce que c’est le Ravi. (NDLR : nous avons choisi ce medium pour interviewer GD afin d’avoir des réponses intelligibles. Tout le monde se souvient de l’épouvantable orateur, pourtant avocat et politicien, qui mâchait ses phrases.) Un jeune journal, ça me rappelle mes débuts, à la Libération, quand j’ai lancé Le Petit Provençal, qui est devenu ce torchon, La Provence, où cette brave Edmonde continue à pondre des billets insignifiants. Cette année, on fête le vingtième anniversaire de ma disparition, mais aussi celles de Coluche, Le Luron, Balavoine et Tchernobyl. 1986, annus horribilis. Je ne reviendrais pas sur les circonstances de ma mort, qui ont suscité les plus sottes rumeurs, j’ai emporté mon secret dans la tombe, c’est pas pour le recracher sur un guéridon. Quant à mon origine, je suis natif de l’Hérault et protestant, tout le monde l’a oublié, tellement je colle à l’image de Marseille. Après avoir fait mon droit à Aix, je deviens avocat au barreau de Marseille en 1931. Dans la foulée, je m’inscris au SFIO. En 1940, je fais partie des premiers résistants socialistes, réseau Boyer-Brutus, sous pseudonyme : Lieutenant-colonel Danver. Ça en jette, non ? Je prends le maquis en 42, quand les Frisés ont franchi la ligne de démarcation. J’ai été particulièrement actif, incitant à l’insurrection générale. Quand on voit tous ces mollassons qui se pavanent à la télé, reconnaissez qu’au moins j’avais des couilles au cul. C’est pas aujourd’hui qu’on en verrait un relever le gant d’un duel, encore moins chez ces aristos décadents qui siègent au gouvernement, et à l’épée s’il vous plaît, comme lorsque en 1967 je refuse de m’excuser auprès de Ribière, député gaulliste, que j’avais traité d’abruti. J’ai envoyé paître De Gaulle qui voulait me dissuader de croiser le fer. Pour foutre les jetons à Ribière, je lui ai dit que je viserai la braguette, car il devait se marier quelques jours après. J’ai pas été si vache, mais je l’ai blessé deux fois tout de même. A la Libération, j’ai été maire un an, et puis il a fallu que je ronge mon frein pour devenir maire à vie en 1953. Pour ça, Le Provençal m’a beaucoup aidé. Le problème à la Libération, c’était les Cocos. Auréolés par la Résistance, et puis avec un parti et un syndicat très puissants dans une ville pauvre et ouvrière. Si je m’alliais avec eux, c’est sûr qu’on aurait eu une majorité écrasante, mais je risquais de me faire bouffer. Et puis voilà, je suis un patricien, j’ai toujours été fasciné par la grande bourgeoisie, c’est aussi pour ça que je me suis marié avec Edmonde, une Charles-Roux, que je faisais du yacht avec mon Palynodie. Bien avant la gauche caviar, il y a eu la gauche porcelaine de Limoges. Je me suis donc acoquiné avec le patronat et la droite modérée pour tenir ma barque, et ça a bien marché pour moi. Pas aussi bien pour Marseille : je suis en partie responsable de la décrépitude de la ville, notamment parce que je n’ai pas fait grand-chose pour favoriser l’industrie à Marseille, parce qu’ouvriers = cocos. On ne bouffe pas d’omelette sans casser les ?ufs des autres. J’ai vu couler non sans un certain soulagement l’industrie coloniale suite aux indépendances. Ça m’a permis de récupérer pas mal de gens sur le carreau, de leur filer des emplois municipaux, développant ainsi un énorme réseau clientéliste, avec les CIQ en relais, et le journal pour la propagande, et ainsi je me suis taillé ma petite principauté sur mesure. J’ai joué à fond FO, syndicat financé par la CIA, pour contrer la CGT. Cette logique anti-coco « centriste », j’ai tenté de la porter sur le plan national, aux présidentielles de 1969, le fameux « monsieur X », c’était moi. J’ai pris une sacrée veste, 5 %. Mitterrand a été plus malin. Il a osé s’associer aux cocos pour les niquer en beauté. Moi j’ai dû me contenter d’être « l’homme de Marseille » (1) comme l’a écrit Edmonde. Ça fait un peu maquereau, mais ça dit bien la réalité. Cet abruti de Villepin disait que la France voulait qu’on l’a prenne, mais pas assez bien membré, le nobliau. Faut savoir dans quelle catégorie on peut jouer. Moi, Marseille pouvait être ma maîtresse, pas plus. Tu n’as qu’à voir, ils essaient tous de singer papa, ces parricides à la gomme ! Comme Menucci (2), qui porte le galure. Même cette andouille de Gaudin, qui ne doit qu’à moi d’avoir décroché le pompon car comme Saturne bouffant ses enfants j’ai tué dans l’?uf tous les héritiers, en partant chez Hadès. Jicé, il s’est coulé dans le moule et se defferrise au fur et à mesure du temps qui passe. Encore un mandat et il est mûr pour le galurin ! Et puis je te parie le mien, de chapeau, qu’il va te griller ce niais de Muselier comme moi j’ai fait avec mes dauphins. Bon, c’est l’heure d’aller hanter le bureau de Gaudin, cette grenouille de bénitier. La dernière fois, il m’a menacé de faire venir un exorciste de l’Opus Dei ! Il peut toujours essayer, on ne la fait pas à un parpaillot.

Paul Tergaiste

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