Galeshka Moravioff, exploitant cinéma en France et à Marseille

avril 2005
Galeshka Moravioff, compositeur, producteur, distributeur, exploite plusieurs cinémas en France, dont le César et les Variétés à Marseille. Depuis quelque temps, les cinéphiles marseillais sont au pain sec et à l'eau, et sans clim. Explications.

Maestro en chef

Sboing, cling, voooooouuuuu… (Le Maître est derrière ses claviers et distille une musique niouaidge planante et chiante. Quand il s’aperçoit qu’on s’est endormi, il réveille son auditoire d’un grand coup de gueule.)Tas de barbares ! Metropolis de Fritz Lang, L’homme qui rit de Paul Leni, L’inconnu de Tod Browning… Tous ces films muets que j’ai mis en musique, je leur ai apporté la touche finale : celle de la perfection. Bon, c’est vrai que ça ne me rapporte pas grand-chose. Guère plus avec mon activité de producteur ou de distributeur (1) (reconnaissez que j’ai de belles choses dans mon catalogue : Murnau, Rossellini, Tarkovski, Satyajit Ray, Tsai-Ming-Liang… ). Mais bon, la culture, avant d’en vivre… Heureusement, j’ai mes salles de cinéma. A Paris, Lyon, et Marseille. En 1993, j’ai racheté le César. moravioff_def.jpg L’Art et Essai à Marseille, c’était la léthargie. Loin derrière les autres grandes villes de province, et même Aix, qui a eu la chance d’avoir un type comme Jean Chenut pour diriger ses salles. A l’époque, il y avait aussi le Paris et le Breteuil. Pour une ville qui a culminé à 100 salles en 1963, grandeur et décadence… Quand je me pointe à Marseille, les exploitants se sont moqués du Parigot qui débarque (en fait, je suis Suisse). Coup de génie, je débauche François Da Silva, qui dirigeait le Madeleine et co-programmait l’Alhambra aux côtés de Jean-Pierre Daniel. Da Silva et son équipe, ils se sont défoncés. Avant-premières, multiprogrammations (jusqu’à 20 films par semaine), Da Silva a réussi à développer la cinéphilie dans cette ville d’incultes qui se prend pour la nouvelle Cinecittà aujourd’hui (il s’esclaffe, et nous avec) ! Le César, ça marchait bien, du coup on a repris les Variétés, ex-théâtre puis cinéma de cul sur la Canebière, où tout le monde nous prédisait l’échec aussi… Maintenant, il n’y a plus que moi sur la place, les autres ont tiré le rideau (c’est pas un cinéma paumé à l’Estaque et une cinémathèque qui ouvre tous les 29 février qui vont me concurrencer !). Bref, Da Silva, il a commencé à me faire de l’ombre, on ne parlait que de lui dans les médias, c’était insupportable. Heureusement, il a fini par partir bosser pour Luc Besson (sic), du coup j’ai repris la programmation en main depuis Paris. Vous avez remarqué le changement ? En moins bien ? Mais il faut bien vivre. Ça ne suffit pas de gérer le personnel comme chez Mc Do : Des contrats de 20h et moins, de nombreuses équipes, un gros turn over, ça évite que la mayonnaise elle monte… C’est ça, le prix à payer pour travailler dans un « autre » cinéma, pour l’amour de l’art. Les mécontents, ils n’ont qu’à aller faire les ouvreuses à Plan-de-Campagne. Donc, il faut aussi des films qui marchent. « Qu’est-ce que je vais foutre d’un film qui va faire trois entrées alors que je remplis les salles avec La Passion du Christ ? » (2) Ou Le seigneur des anneaux, Spiderman 2, Minority Report…mais en VO ! Ah, l’alibi de la VO ! Comment ça, un autre cinéma est possible ? Ne me parlez plus de Da Silva, ça m’énerve, lui et ses films portugais à 20h… Comme si TF1 passait du Godard en prime time ! Tiens, le dernier Godard, je l’ai passé en catimini six mois après sa sortie. De temps et temps, je passe tout de même des films islandais ou toungouzes, mais genre une semaine seulement le jeudi à 15h40, et puis on jette. Bien obligé de les prendre, si je veux toucher mes subventions Art et Essai ! Sinon, tous ceux qui n’ont même pas cette chance, dont pas mal de chefs-d’?uvre que les Marseillais sont obligés d’aller voir à Aix ou à Paris, c’est aussi une question de pognon, mais légèrement différente. Certains distributeurs, je ne les paye plus, ou alors avec des mois de retard, du coup, ils refusent de continuer à m’envoyer les films. Petit à petit, je me grille un peu partout. A propos de griller, cet été, les pannes de clim’ pendant deux mois, c’est parce que je rechignais à faire le nécessaire. Les sociétés de maintenance non plus ne veulent pas travailler pour l’amour de l’art. Sauvages !

Paul Tergaiste

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