Soheib Bencheikh, ex-grand mufti de Marseille

juin 2006
Soheib Bencheikh, 43 ans, théologien et ex-grand mufti de Marseille, veut se présenter aux élections présidentielles. Mais nul n'est prophète en son pays...

Le Mufti éclairé

« Ah mon dieu, c’est embêtant, 90 % des hommes s’emmerdent en votant »… C’est illuminé par l’écoute de Georges Brassens – eh oui, un anar bouffeur de curés, mon chanteur préféré, ce n’est pas le moindre de mes paradoxes – que j’ai décidé de me sacrifier pour le bien de tous en me portant candidat à l’élection présidentielle. Comment ça, vous ne savez pas qui je suis ? Mais si, le Mufti éclairé, Bencheikh ! Non, vraiment ? (il prend un air de cocker battu et commence à suer à grosses gouttes) Va falloir que je vous raconte ma vie ? (il reprend du poil de la bête et sue de plus belle) Alors voilà, bismillah, je suis né en Arabie Saoudite, fils de bonne famille algérienne. Papa – cheikh Abbas – était ambassadeur à Riad à l’époque. Ensuite il est devenu recteur de la mosquée de Paris, de 1982 à 1989. Moi, j’ai biberonné la théologie musulmane à l’Institut des sciences islamiques d’Alger, puis j’ai fait un tour au Caire, à l’université d’Al-Azhar, avant d’obtenir un doctorat à Paris, à l’Ecole pratique des hautes études. 31op_bencheick.jpg Une fois acquise toutes ces lumières, j’ai voulu, dans ma mansuétude, rayonner auprès du plus grand nombre. En 1994, c’est un entretien avec l’Evènement du jeudi qui me propulse sur la scène médiatique. L’interview s’intitulait : « L’appel d’un jeune imam aux musulmans de France ». Déjà cette manie de faire des appels et de dénoncer l’obscurantisme. Faut dire que al Coran, ça veut dire l’appel. Alors, oui, il n’y a qu’un seul Dieu et Mahomet est son prophète, mais je compte pas pour du smen (1), tout de même ! J’avais des visées sur la mosquée de Paris, pour faire comme papa, mais bon, ils m’ont écarté du jeu en me donnant un hochet à la place : grand mufti de Marseille, « pompeux et moyenâgeux », n’est-ce pas ? C’est un titre qui ne veut rien dire, je ne contrôle aucun lieu de culte, je suis le Mgr Gaillot de l’islam. Mais la concurrence, ils ont encore plus d’humour, puisqu’ils lui ont tout de même confié le diocèse de Parthénia, un bout de désert totalement inhabité et brûlé par le soleil. (il s’essuie le front d’un pan de sa cape) Bref, c’est un peu comme si je vous nomme sur le champ grand Mamamouchi d’Oulan Bator. Ça vous fait une belle jambe, hmmm ? Eh bien moi ça m’a fait une belle cape, toute blanche, que je me suis fait confectionner pour l’occasion. A la Peter O’Toole dans Lawrence d’Arabie, la classe, non ? A part la cape, j’ai tout de même droit à un salaire de la mosquée de Paris, versé par l’Algérie. Une fois à Marseille, j’ai commencé à donner des conférences, des émissions à la radio, mais faut voir les musulmans marseillais. Tous des illettrés venus du bled ! Et les questions qu’ils me posaient à l’antenne ! Genre : « si je mange du saucisson, est ce que je vais aller en enfer ? » Alors que j’essayais de les abreuver du miel de mes subtilités théologiques, ces ingrats. Puisque c’est comme ça, je me suis dit que je me ferais désirer, pour que le public s’élève à mon niveau. Aussi, j’ai posé un nombre de lapins assez importants aux conférences organisées pour que je puisse délivrer ma sainte parole. Ça n’a rien changé, au contraire. Ils m’en veulent encore plus, allez comprendre ces ploucs. J’en ai conclu qu’« il y a deux manières de représenter l’islam de France : privilégier une représentation savante, dont la seule tâche est d’adapter l’islam à la France. C’est la meilleure voie, celle qui donne aux représentants de l’islam une légitimité religieuse. Celle qui transmet aux musulmans une connaissance sûre et les immunise contre toute dérive. La deuxième voie consiste à chercher à refléter la diversité du terrain musulman, à chercher des porte-parole de tel ou tel courant ». (2) La première c’est la mienne. La seconde, démocratique, n’est pas la bonne. Un comble, pour quelqu’un qui prétend se soumettre au suffrage universel. C’est comme de prêcher l’amour et la tolérance et puis de coller une trempe à Kaaniche, l’aumônier du Sud de la France, il y a dix ans de ça. Vous ne pouvez pas comprendre, à un certain niveau, il n’y a plus de contradiction. Moi je souhaite conquérir l’islam par le haut, tout le contraire de Tariq Ramadan. Je suis le mufti éclairé, celui qui fait la synthèse entre islam et laïcité. J’ai écrit Marianne et le Prophète. Pas un Arabe n’a lu – ignares ! – mais qu’est-ce que je me suis pris dans la tête ! Mais je continue, je pars en croisade contre les intégristes, je casse du barbu, je défends la liberté d’expression lors de l’affaire des caricatures du Prophète, béni soit son nom. Ma cible, c’est les « beurgeois ». Mon problème c’est que pour un PDG d’origine maghrébine, il y a 10 000 chômeurs sans qualification. La mosquée de Paris, mon rêve, j’ai fait une croix dessus (un croissant, plutôt), Boubakeur (3) n’est pas près de lâcher le morceau. Pendant un moment, je me suis dit que je me contenterais de la grande mosquée de Marseille. D’abord, depuis le temps qu’on en parle, elle n’est toujours pas sortie de terre. Ensuite, je vais me faire certainement souffler la place. Je me sens seul, si seul… J’ai bien créé le CORAI (4), une association supposée faire avancer le débat sur l’islam en France et à Marseille. Les locaux appartiennent à la mairie de Marseille. Mais ils osent me réclamer un loyer. Moi, je ne paie pas, je leur dois déjà 12 000 euros. C’est pas cher payé, pour héberger un mufti de mon envergure ! Je ne vais pas m’arrêter là, puisque je monte un institut d’études islamiques. J’ai demandé du fric à Vauzelle et à Guérini : 100 000. A Gaudin, 225 000 euros. Faut ce qui faut. Les capes blanches, c’est très salissant, si vous voyiez mes notes de pressing ! Les mauvaises langues de la mairie racontent que c’est parce que je suis écarté de la mosquée et que Gaudin ne veut pas financer mon institut que je me lance dans l’aventure présidentielle. Calomnie ! Mais pour quelqu’un qui fustigeait ceux qui mélangent le cultuel et le politique, j’avoue que c’est un peu fort.

Paul Tergaiste

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