Jean-Claude Izzo, auteur

septembre 2004
Jean-Claude Izzo, auteur à succès, disparu depuis quatre ans. Nous avons invoqué ses mânes afin de savoir pourquoi dans ses romans les aisselles des femmes sentent plutôt le basilic que l'anchoïade

Basilic instinct

« Pammm-pam-papam… » (il fredonne un air de jazz mélancolique, puis soupire). Vous n’avez pas assez à faire avec les vivants que vous venez enquiquiner les morts ? Ça fait quatre ans que je suis enfin tranquille, que Gallimard ne me traque plus pour que je ponde la suite de Fabio Montale. Déjà que je ne voulais pas écrire Chourmo et Solea (1), qu’ils ont voulu me traire jusqu’au bout… Alors j’ai fini par le tuer, le Fabio, comme ça j’ai cru avoir la paix. Tu parles ! Tu as vu, ce qu’ils en ont fait, TF1, avec ce con de Delon qui joue les couillus comme d’habitude et les vues d’hélicoptère sur les calanques Harpic bleu lagon ? Je l’avais même fait dire à Montale au début de Chourmo : « je ne ressemblais pas le moins du monde à Alain Delon »… rv11poids_izzo.jpg Pourtant, Gallimard et ma chère épouse avaient un droit de regard sur le résultat. Elle a même déclaré qu’elle attendait « une série de films de qualité encourageant les spectateurs à bâtir un nouveau monde méditerranéen, lumineux, sensuel et démocrate ». Pas moins ! Si elle trouve le résultat conforme, elle doit avoir la vue qui baisse, ma pauvre Catherine. Même pas il aime les pieds et paquets et le Lagavulin (2), Delon ! C’est vrai que c’est un peu ma faute aussi, j’avais donné mon accord de mon vivant à TF1. Vu les zéros sur chèque, je ne pouvais pas refuser. Et Gaudin qui a décerné le titre de citoyen d’honneur de Marseille à Delon après ça… Putain, je me suis retourné dans ma tombe ! Ce réac qui vit en Suisse pour échapper à l’impôt, quelle citoyenneté honorable et exemplaire ! Rien n’a changé, dans ce monde de merde. Le pompon, c’est Gaudin qui se met à me citer dans ses discours (3). Moi, un ancien coco, ex-rédacteur en chef de la Marseillaise ! C’est là que j’ai commencé à me poser sérieusement des questions, à prendre du recul depuis l’au-delà. Au bout du compte, je me demande si je n’ai pas fait une belle cagade en écrivant ce truc. Je me sens aussi con que cet abruti de Peter Mayle et son Année en Provence, le best-seller grâce auquel il y a plus d’Amerloques dans le Lubéron qu’à Bagdad. Et maintenant, il y a même des Japonais qui commandent du Lagavulin chez Hassan, au bar des Maraîchers(4). L’effet TGV, c’est rien à côté de l’effet Montale ! Le nombre de couillons qui viennent à Marseille à cause de moi, ça ne fait que nourrir mon pessimisme qui ne s’est pas arrangé post mortem. Avec mon passé de communiste, de voir que je suis partiellement responsable de la flambée immobilière et de l’embourgeoisement bidon de ma ville adorée, voulu par Gaudin et sa clique, ça me fout la gerbe. Enfin, bref, « un bon roman, c’est comme une femme honnête, ça ne se vend pas », comme disait le père Gallimard. Le secret de mon succès ? J’ai pris deux bonnes recettes qui ont eu leur heure de gloire, et j’ai fait ma ratatouille pour les mettre au goût du jour, qui adore la « fusion ». Soit le cliché du Marseille solaire dont Pagnol fut le promoteur (pieds et paquets, balades en pointu, femmes aux senteurs d’herbes provençales, etc.) associé au cliché du Marseille ténébreux dont le film French Connection constitue l’apogée (drogue, mafia, cosmopolitisme louche, corruption politique…). Flambez le tout au Lagavulin et parsemez d’extraits de la Cuisinière Provençale (5), c’est prêt. Reconnaissez tout de même que je suis moins mauvais que tous les écrivaillons de polar marseillais qui exploitent le filon. Bon, c’est pas tout ça, mais j’ai rencard avec Marie Trintignant (6) qui m’a préparé des beignets de morue en raïte. Et au fait, vous m’avez trop cassé les couilles, je ne vous dirais pas pourquoi les filles elles sentent le pistou sous les bras.

Paul Tergaiste

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