Leçon de choses

décembre 2005
Il est fort ce Sam Ravi. Il a réussi le coup du siècle. Caché dans le lustre du bureau avec vue sur le port de Lélu, il a pu assister à une scène aussi bien mythique que mémorable.

En ce jour de décembre, Lélu a convoqué Bogosse, son fidèle adjoint. Bogosse patiente dans la salle d’attente en feuilletant le calendrier dédicacé de Clara Morgane acquis le matin même par internet. Lélu entre à pas de velours et entend distinctement : « Putain, elle est bonne ! ». Il claque la porte si fort que Bogosse avale son chewing-gum. Lélu s’assoit à son bureau et fixe Bogosse pendant une longue minute.

Lélu : J’ai bien réfléchi et tu es le seul qui puisse me succéder. (Il soupire.)

Bogosse : Pour de bon ? Putain, trop le c?ur ! (Il sourit en se massant vigoureusement l’entrejambe.)

Lélu : Oh ! Tout doux Bogosse ! Calme ta joie ! Et bè, c’est pas fait. Quesse je voulais dire… ouais, bon. Je trouve que tu es un peu ramolli du bulbe niveau com. Avec tous ces bobos qui ont envahi la ville, pour gagner les élections, il va falloir que tu apprennes à parler aux bobos.

Bogosse : Je suis pas Rica Zaraï. Les bobos, moi je me les fais à l’alcool à 90 !

Lélu : C’est bien ce que je craignais, on va laisser tomber les bobos pour l’instant. (Il hoche la tête.) Mon petit, tu es beau comme un astre, mais des fois vaudrait mieux que tu ouvres pas ta grande bouche. (Il soupire.) Je serai pas toujours là, peuchère. (Il écrase une larme.)

Bogosse : Tu te casses encore à Paris ? Moi, ils veulent plus de moi, là-bas… (Il se met à bouder.)

Lélu : Passons. Tu comprends mon petit, la politique c’est un art. La politique c’est les cigales dans la voix, c’est la bise à la marchande sur le port, c’est la poignée de main qui vaut promesse…

Bogosse : Oh ! Moi, à part le poisson pané…

Lélu : Tè vé, il est beau le minot de Marseille ! Bon, on va faire des eguezercices d’enracinement local. Oui, tu m’as bien entendu. (Lélu sort un carnet de note.) Bon, tu as la télé, tu regardes autre chose que le foot des fois ? Alors, si je te dis « Bogosse, tu me fends le…», toi, tu réponds…

Bogosse : La poire ! Euh, non… la bise ! Ah, j’y suis, la bûche !

Lélu : Ô pôvre… y’a du boulot… Bon, on va laisser tomber les vieux, de toute façon y’en a déjà plein qui votent pour nous. (Il hoche de nouveau la tête.) Maintenant, imagine que tu es au stade, tu vois bien, ça, par vrai ? Si je te dis : « ce soir on vous met le …», tu réponds…

Bogosse : (Une grosse ride apparaît sur son front lifté.) On vous met… on vous met… minable ! J’ai bon ? On vous met profond… ??

Lélu : Presque. (Il se prend la tête à deux mains.) Tant pis pour les supporters, ceux-là de toute façon, si l’OM a perdu, ils votent pas. Essayons les 30-40 ans. Bon… tu te souviens les années 80, les soirées disco, Madonna, la gauche au pouvoir, l’âge Defferre…

Bogosse : Ouaiiiiiis ! ! On allait danser sur Patrick Hernandez au Privé, j’avais un pantalon en esquaille trop méchant… (Il se lève et se met à chanter en faisant tourner sa veste) : borne tout biheu laïve, toutoutoutoutou…

Lélu : (Des sanglots dans la voix) Oui, oui, c’est bien, c’est bien. Bon, on continue. Si je te dis « je danse le », tu dis… mais oui, tu connais, la chanson d’I AM. Alors, je danse le… ???

Bogosse : …le tcha tcha tcha ? (Un silence de plomb s’installe.) La lambada alors ? (Il sourit comme sur ses affiches électorales à s’en faire exploser la mâchoire.) La macarena ? (Une goutte de sueur descend le long de sa tempe droite.) Toujours pas… Ça y est : la danse des canards !

Lélu : Eh, ben, c’est vraiment gagné…

Propos acrobatiquement capté au vol par Sam Ravi et sa Mie, avec la complicité de Guillaume Hollard et Elsa Poutchkovsky

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