« L’usine à salade » est essorée
L’agriculture a souvent bon dos ! Cas concret en Vaucluse, sur la commune de Villelaure, où la société Agroasis prévoyait d’implanter une serre de 3,8 hectares (environ cinq terrains de foot) équipée de panneaux photovoltaïques couplée à une centrale biomasse. Le tout sur une emprise foncière totale de 8 hectares en zone agricole. Mais Dominique Conca, la sous-préfète d’Apt, l’a annoncé elle-même au Ravi, fin avril : le projet ne se fera pas à Villelaure ! « Il y a eu un raté dans le dossier, explique-t-elle. La Safer (1) n’a pas été sollicitée afin de savoir si des agriculteurs, prioritaires, étaient candidats au rachat des terres avant la revente du foncier. Il se trouve qu’il y en a aujourd’hui… »
C’est ballot : le projet a obtenu les autorisations préfectorales nécessaires, un permis de construire a été accordé par la commune en août 2018 et la sous-préfète confirme que son contrôle de légalité a bien été effectué. Précision : Agroasis est une société spécialisée dans la recherche et développement appartenant à une holding, celle de Mathieu Guéret, qui compte plusieurs entreprises spécialisées dans l’énergie.
Start-up nation
Cette serre immense, dont la construction et l’exploitation des panneaux photovoltaïques auraient dû être confiées à la société montpelliéraine Urbasolar, devait permettre de produire près de 2 millions de jeunes pousses de salade par an. Enorme pour un bassin de vie de 25 000 habitants ! Sur le papier, le projet est dans l’air du temps : pas de pesticides, autonome en énergie… La centrale biomasse a même été lauréate d’un appel à projet de la commission de régulation de l’énergie. Mais localement, un collectif d’une quarantaine de personnes s’est constitué, dénonçant une « usine à salades » et remettant en cause la nature agricole du projet. Une vision confirmée par plusieurs documents que le Ravi s’est procurés. D’abord dans un rapport de juin 2018 de la DDT de Vaucluse (2), les services de l’Etat donc, qui conclut que « le dossier présenté souffre d’un déficit d’éléments sur l’exploitation […] ainsi que sur le projet agricole objet de la demande. Dès lors (sa) nécessité n’est pas démontrée pour une exploitation agricole ». Il indique également que le gérant de la société qui exploitera la serre, la SARL Debonvin (propriétaire de vignes à Sannes), alias Mathieu Guéret, n’est agriculteur qu’à titre secondaire. Enfin, ce document fait état d’un cas de mitage. Or Villelaure est dans le périmètre du parc régional du Luberon (PNR), ce qui est contraire à sa charte…
Le PNR justement, dans des notes en février et juillet 2018, se montre très critique. Entre autres arguments car le « projet n’est pas proportionné à une activité agricole mais à une activité industrielle de production énergétique ». Comment, dans ces conditions, un permis a pu être accordé et confirmé par la sous-préfecture ? « Beaucoup de projets photovoltaïques surgissent dans les territoires, explique Dominique Conca. La DDT a donc décidé en 2018 de mettre en place un guichet dans le cadre duquel Agroasis a déposé son dossier : une expérimentation sur un démonstrateur économique et technique. Cela nous semblait intéressant et nous n’avons pas fait d’observations dans le cadre du contrôle de légalité. »
Le projet est même présenté en CDPENAF (3) par la DDT en février 2019 comme partie intégrante de « sa doctrine photovoltaïque ». Comment a-t-elle pu à ce point changer d’avis ? Ce document ne constitue « pas un avis au sens juridique du terme », explique la direction de la DDT, soulignant que la collectivité instructrice (la communauté de communes) « n’est pas liée par cet avis ». Elle indique également que suite à une demande de précisions auprès de la commune sur la nécessité de l’exploitation agricole, ses services ont été satisfaits. Quels arguments ? La DDT n’en dit pas plus.
Gros sous
« Nous travaillons très bien avec le parc du Luberon, affirme la sous-préfète. La charte est en annexe des documents d’urbanisme et les maires doivent en tenir compte. Mais si le projet en question présente une opportunité, notamment en matière d’énergies renouvelables, on peut considérer que ce n’est pas une contrainte ». Un peu gênée, tenue par son devoir de réserve, Laure Galpin, la directrice du parc, déclare sobrement que « ce cas nous permettra d’être plus vigilants à l’avenir et d’être associés à la prise de décision ».
Mathieu Guéret se défend : « La mairie et la Safer nous ont proposé ces terrains en friche qui n’intéressaient personne. Après, certains ont tenté de faire le buzz et les agriculteurs souhaitant s’installer ne le font que pour bloquer le projet. C’est un démonstrateur et nous n’avons aucun intérêt dans la vente d’énergie. » Démontrer quoi au juste ? Qu’il est possible d’artificialiser des sols agricoles pour produire des millions de salades ? Le but n’est-il pas de profiter de prix 30 fois inférieurs minimum à celui du foncier en zone d’activité, en économisant au moins deux millions d’euros, avec un projet industriel sur le dos de l’agriculture ?
Au bout d’une demi-heure d’entretien, la sous-préfète chancelle quelque peu : « On peut effectivement se demander s’il faut produire autant de salades pour montrer que le concept est intéressant. […] Le modèle agricole choisi peut être discutable. Les agriculteurs se sont faits entendre. […] Il ne faut effectivement pas inverser les choses : déboucher sur un projet agricole dont le seul but serait de vendre de l’électricité. » C’est marrant, cela en avait tout l’air…
Clément Chassot
La mairie de Villelaure n’a pas souhaité répondre à nos questions.
1. Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.
2. Direction départementale des territoires.
3. Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.
Enquête parue dans le Ravi 173, daté mai 2019