Les Marronniers cherchent leur voie
« Route barrée », barrières de chantier, glissières en béton armé et pour seule information, un panneau, indiquant des travaux du « 1er juin au 1er juillet 2017 ». Voilà ce que les habitants des Marronniers, dans le 14ème arrondissement de Marseille, ont vu apparaître au petit matin, le 10 juin dernier, à l’entrée de leur résidence. Mais fin août, alors que l’accès est encore entravé, aucuns travaux ne sont en cours ! Et ce décor pourrait rester figé car il traduit une contestation du syndic luttant pour se faire entendre par des pouvoirs publics faisant la sourde oreille.
L’accès principal des Marronniers est en effet au cœur d’une discorde. Dit « privé », il devrait être à la jouissance exclusive des quelques 1200 résidents des Marronniers, répartis sur 420 logements, or des usagers extérieurs l’utilisent. Notamment les habitants d’une des résidences voisines, Les Jardins de Villecroze, construite en 2015. « Les engins, camions et chenilles empruntaient notre voie privée sans autorisation, ils ont endommagé la route et personne ne l’a jamais remise en état ! », s’indigne Guy Michel, conseiller syndical. L’accès est également emprunté par des techniciens de la SNCF. « Ils ont fait exploser des espaces verts pour accéder au chemin de fer ! J’ai tenté de les contacter, je n’ai jamais eu de réponse… », déplore Eric Soleillet, gestionnaire du syndic de copropriété. Non adaptée à un tel trafic, la voie dite « privée » est jugée « dangereuse » par le syndic.
« On est oublié des institutions, de l’État ! On est complètement délaissé, abandonné !, martèle Geneviève Touimer, "couteau-suisse" des Marronniers. Ils viennent nous voir avant les élections, puis après hop ! Ils disparaissent ! » Lors de l’assemblée générale du 21 juin, la mise en œuvre de travaux est à l’ordre du jour. Une somme de 19 250 € HT est estimée pour de simples réparations alors que seulement 7000 € de budget ont pu être votés. Endettée de 300 000 €, la copropriété conclut qu’elle n’a pas les moyens financiers pour la réfection de la voie et décide donc de la bloquer.
« C’est privé et nous pensons que le meilleur moyen de se faire entendre est de fermer. Mais aussi pour ne pas qu’il y ait d’accidents graves sur notre voie. Cela nous serait imputable, pour mauvais entretien de notre route, pleine de nids de poule ! », explique Jean-Claude Mori, membre du syndic. Le chemin est donc désormais impraticable. « Soit les autorités nous aident à payer parce que nous ne sommes pas les seuls à passer par là, soit ils rendent publique cette voie et l’entretiennent à leurs frais ! », lance un propriétaire désabusé.
Trafic perturbé
Depuis 2012, Eric Soleillet multiplie les démarches : « J’ai envoyé deux courriers à la mairie centrale et deux à la métropole pour leur indiquer qu’il serait temps de transférer la voie dans le domaine public, je n’ai jamais eu de réponse ! » Et le rythme s’accélère ! Depuis la fermeture de la voie, les membres du conseil syndical ont adressé une nouvelle lettre à la métropole et deux autres à la mairie de secteur, là encore, pour l’heure, en vain (1). Elles dénoncent les stationnements anarchiques des locataires de la résidence Les Jardins de Villecroze et la dégradation de la voie privée due au trafic illégal de véhicules n’appartenant pas aux résidents des Marronniers…
Depuis lors, les résidents des Marronniers sont forcés d’emprunter une voie publique alternative. « Elle est non conforme aux normes de sécurité routière, dénonce une locataire qui vit ici depuis 17 ans. La route est sinueuse, en pente et beaucoup trop étroite pour être à double sens ! On ne voit pas les voitures arriver, et tout le monde roule très vite ! » Entre voie privée délabrée et impraticable et voie publique non conforme aux règles de sécurité routière, le quotidien des habitants des Marronniers devient plus difficile qu’il ne l’était déjà.
Car au cœur d’un trafic de drogue depuis maintenant deux ans, la résidence bascule petit à petit, dans le « côté obscur » des quartiers nord de Marseille. Le blocage de la voie perturbe les trafiquants. D’un côté, l’accès principal, bloqué pour les voitures, facilite leur négoce avec la circulation des scooters qui n’hésitent pas à l’emprunter. Mais de l’autre, pour les clients véhiculés, une voie sans issue s’offre à eux en cas d’intervention des forces de l’ordre. Les « choufs » à l’entrée se sont appropriés l’accès principal et donnent à la résidence une allure de « ghetto »…
Sihem Kazi-Tani
1. Le mairie FN de secteur n’a pas souhaité nous répondre.
Enquête publiée dans le Ravi n°154, daté septembre 2017. Lors de la mise en ligne de cet article, en novembre 2017, la situation au Marronniers était toujours bloquée : silence des pouvoirs publics, accès principal de la cité fermé, ghettoïsation avec l’implantation d’un deuxième réseau de drogue…