Tous les œufs dans le même panier
Les cocottes gambadent dans le parc terreux, malgré la chaleur, picorent un peu de verdure et s’en vont pondre un œuf sous une serre faisant office de poulailler. Tout beaux tout ronds, ils roulent sur une grille jusqu’à l’extérieur. Il est 10 heures, Anthony Lenevez vient les ramasser. Une plaque de trente puis deux… Grâce à ses 750 poules bio, cet aviculteur à Pélissanne (13) depuis six ans vend, en circuit court, 500 boîtes d’œufs par semaine. De quoi fêter Pâques tous les jours ! « Quand je me suis lancé, je n’avais que 120 poules » raconte-il en montrant l’étendue de ses trois poulaillers. Depuis une dizaine d’années, les œufs issus d’élevages alternatifs, au sol, plein air et bio, remplissent de plus en plus le panier des Français. Par souci d’assurer la qualité de leur alimentation ou par préoccupation vis-à-vis de la condition animale. Et le scandale des œufs contaminés au Fipronil va renforcer la tendance !
Pourtant, « le bio ce n’est pas la panacée, c’est simplement un cahier des charges » explique avec franchise Anthony Lenevez. Néo-rural de 45 ans, il défend le secteur pour ses vertus environnementales et sanitaires, sans en être « l’apôtre » : « les gens ont une image faussée du bio » détaille-t-il. Bien qu’attaché à ses poules, ses « meilleures ouvrières », dont il prend particulièrement soin, sa priorité est au rendement : « quand on parle de bien être animal, il faut mettre en parallèle le mot "productivité" et "banque". »
Production intensive
La poule pourrait remplacer le coq comme symbole patriotique tant l’élevage de pondeuses est une industrie en France ! Avec 14,5 milliards d’œufs par an, elle est le premier producteur européen. En Paca, la filière, l’une des plus petites du pays, regroupe tout de même 900 exploitants pour 500 000 gallinacés (1). Et de lourds moyens de production intensive sont de vigueur, même en bio ! Preuve avec les poussins : fécondés artificiellement dans un couvoir industriel, ils sont « ébecqués », pour éviter les attaques réciproques, et « sexés », afin de se débarrasser des mâles, avant d’être menés à maturité par des sous-traitants. L’aviculteur lui, n’obtient ses poules qu’à 18 mois. Leur vie antérieure lui échappe totalement.
Nourries en bio ou pas, bec coupé ou non, vaccinées ou droguées aux antibiotiques… Mystère ! À Ampus dans le Var, Frédéric Costamagno peine à obtenir le label bio, malgré les efforts. Il dénonce un zèle aléatoire des contrôles : « En 19 ans, je n’ai jamais eu de visite pour vérifier le traçage de mes oeufs ! » À Pélissane, Anthony Lenenez confirme : « Le contrôleur ne prélève jamais mes terres. Les analyses coûtent cher et ça se ressent sur le prix de l’œuf. » Qualité de l’œuf et condition de vie de la poule sont questions de bon vouloir.
Des cages et des marges
« Un élevage reste un élevage » poursuit l’aviculteur. Les pondeuses sont conditionnées : 5 m2 par poule à l’extérieur, sur un terrain pas nécessairement verdoyant ou ombragé, contre 6 poules par m2 à l’intérieur du poulailler. Leur ponte, moins intensive en hiver qu’en été, est aussi régulée : un éclairage et un chauffage les obligent à se lever tôt pour pondre toute l’année. Si bien qu’à peine un an et demi plus tard, horloge biologique déréglée, « elles sont fatiguées, pondent moins et la coquille des œufs est fragile. On est obligé de s’en débarrasser » déplore Frédéric Costamagno. Direction l’abattoir ! La poule devient déchet alimentaire ou pâtée pour chien. Triste récompense pour de loyaux services.
À la demande de l’association L214 de défense des animaux, les grosses entreprises comme Pasquier, Panzani, Carrefour, Auchan… s’engagent à bannir de leurs rayons et produits les œufs de batteries d’ici 2025. La demande change, la production aussi. En 2009, les pondeuses étaient à 80 % issues des cages contre 68 % aujourd’hui (1). Christiane Miollan est une des plus grandes avicultrices des Alpes-de-Haute-Provence. En 1983, elle développe son élevage et opte pour la cage : « C’est la demande qui voulait ça. » Et à l’époque, elle y trouvait des avantages : moins de main d’œuvre et plus de rentabilité. Sensibilisée au plein air, puis au bio par ses fils, si elle assure que l’animal est en meilleure forme, « les poules en plein air ont les mêmes vaccins que les poules en cage. Et entre le bio et le plein air, la condition animale reste la même, seule l’alimentation change » détaille-t-elle, forte de son expérience dans les trois secteurs.
« L’élevage en cage ne cessera jamais. Il reste le plus demandé non seulement par les consommateurs qui n’ont pas les moyens mais aussi dans la restauration et la boulangerie, assure Chantal Flores, éleveuse de poules des trois secteurs, à Trets (13). Et puis quand on met des millions dans un bâtiment parce qu’on doit régulièrement se caler aux normes européennes, je ne vois pas comment on pourrait dégager une marge si on devait arrêter les cages ! »
À défaut de transition immédiate, certains décident de sauver des poules de réforme. Stéphanie Valentin, violoniste et amoureuse des animaux, organise des sauvetages en Paca : elle récupère des cheptels entiers à raison de 2 euros la poule et les propose à l’adoption aux habitants du coin. Alors que les abattoirs les achètent à 0,20 euros. « Et puis une poule, ça vit et pond presque une décennie » assure-t-elle. Et même jusqu’à 250 œufs par an !
Maïlys Belliot
1. En 2015 selon une étude de l’Agreste, organisme de statistique du ministère de l’Agriculture.
Enquête publiée dans le Ravi n°154, daté septembre 2017