C’est l’éruption de la fin !

mars 2005
Tragi-comédie rétro-futuriste en trois scènes, un seul lieu et un acte.

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Vous ne connaissez pas Marcel ? On ne peut pas vous en vouloir : il y a peu, nous non plus. Marcel a en effet vécu dans le coma pendant 40 ans. Un médicament miracle, qui vient d’être rendu disponible, va permettre sous vos yeux émerveillés de le ramener à la réalité. Afin de le mettre au courant des histoires du monde, quelqu’un de chez nous est mandaté pour lui raconter, lors de son réveil, la vie de notre région depuis quatre décennies. Une mise à jour en quelque sorte. Extraits d’un entretien qui en dit long.

Scène 1 : Une petite chambre d’un quartier populaire de la ville. Assis sur une chaise, notre reporter muni d’une importante documentation, dont la collection complète du Ravi. Ronflant dans un lit passablement démodé, Marcel a un bras dressé avec le poing serré. Sa femme nous explique qu’il est tombé comme ça la veille du premier mai 1965. Puis, elle lui administre la potion miracle. Crachotements, éternuements puis sifflements de locomotive (quand elles étaient encore à vapeur). L’homme revient à la vie.

Marcel : Debout les damnés de la terre (il se dresse sur le lit en chantant), debout les forçats de la faim (il engloutit une poignée de biscuits disposés dans une assiette sur la table de nuit). La raison tonne en son cratère (son estomac gargouille), c’est l’éruption de la fin (il rote et aperçoit notre reporter). Ça alors, c’est le parti qui vous envoie pour la manif ?

Le Ravi : Euh, pas exactement…

Marcel : Oh belle-maman (en s’adressant à sa femme) ? Depuis quand une catholique comme vous vient aux manifs ?

Le Ravi : Euh, Marcel, ce n’est pas votre belle-mère… c’est Joséphine, votre femme.

Marcel : Fine ?, c’est toi ? Mais… pourquoi t’es toute escagassée comme ça ? C’est les réactionnaires qui t’ont passée à tabac ?

Scène 2 : Même endroit, mêmes personnages le jour suivant. Marcel vient de comprendre ce qui lui est arrivé. On lui a dit pour la chute du mur, il a eu du mal. Mais il a bien dû s’y faire. Marcel : Sans aller jusqu’à l’Alleumagne, quessi s’est passé par chez nous ? Lélu, il veut toujours nous virer, nous les ouvriers ? Parce que de mon temps, Lélu y se voyait bien dans un fauteuil de maire entre les communistes et les gaullistes. Ni chez l’un, ni chez l’autre. Traaaanquille. Pas fada le zigue : faire peur aux bourgeoises avec les méchants cocos, sans avoir à cirer les pompes au général. Me dites pas que ça a marché…

Le Ravi : Je crois bien que oui pourtant. Lélu, il est quand même resté maire pendant trente ans. Il a donc pas mal réussi. Il est décédé et justement sa succession a provoqué bien des remous… Mais avant de partir, il a réussi à virer les usines de la ville. Il n’y a plus guère que sur le port qu’il subsiste encore quelques emplois pour les ouvriers. « Pas de bastion ouvrier chez Lélu » se plaisait-il à dire.

Marcel : Ofan ! C’est bien triste ça ! Plus d’usines, ça fait pitié, carmême. Enfin, au moinsss, il reste les mines, la construction navale…

Le Ravi : Ben, non. C’est fini ça aussi…

Marcel : Pour de bon ?! les mines de Gardanne, les chantiers de la Ciotat, finis ? ! ? Mais jamais le syndicat n’acceptera une chose pareille, ils vont soulever le pays ! Pensez, plus d’emplois pour les ouvriers, c’est la révolution ! Le marqueussisme l’avait bien dit. Nous ferons appel à la solidarité internationale. Mais quand même, dites-moi, il reste bien des gens pour travailler sur les chantiers, pour faire marcher les trains, pour entretenir les routes… bref des ouvriers quoi.

Le Ravi : Ah, oui, oui, mais la fin du capitalisme prévue par le marxisme n’a pas eu lieu. Maintenant, les caissières de supermarchés, elles regardent la Star Académie, elles ne vont pas aux réunions syndicales. D’ailleurs, le plus souvent, il n’y a même plus de syndicat… alors…

Marcel : Pas possible ! Mais comment ils font pour se défendre contre les patrons ? Peuchère, ils vont se faire tondre ces pauvres gens ! C’est trop fort ça. Penser que les patrons pourraient s’enrichir tout en laissant crever les ouvriers. Comme ça. Traaaaanquilles. Sans que degun se bouge !

Le Ravi : Ben, il faut comprendre. Il y a eu le Pif le chien, maintenant on a le chien saucisse. Guédiguian qui filmait les pauvres, désormais, il fait un film sur un socialiste que beaucoup soupçonnent d’avoir enterré le parti communiste. Il cherche à comprendre ce qui a bien pu se passer lui aussi. Et Izzo le rouge qui travaillait à la Marseillaise et écrivait des polars ? Et bien, figurez-vous que c’est Delon qui interprète le rôle de Fabio Montale, son personnage, un flic de gauche. Les temps changent, c’est certain.

Marcel : O pauvre ! Je le crois pas. Toutes ces embrouilles, c’est la faute à votre mondialisation machin chose dont vous me parliez hier ? Et, ben, c’est pas joli, joli…

Scène 3 : L’immeuble de Marcel vient d’être racheté par un fonds d’investissement chinois. Justement, le nouveau propriétaire vient visiter sa dernière acquisition.

Marcel : Camarade chinois, tu arrives à point pour sauver les pauvres prolétaires qui habitent cet immeuble.

Mister Yang : Sorry, my friend. Toi devoir quitter maison à moi. Loyer trop bas = rendements trop faibles.

Boum. Marcel vient de retomber dans le coma

Guillaume « good bye Lenine » Hollard et Elsa Poutchkovsky

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