Démocratie en rangs serrés à Nice

février 2005
Le maire de Nice n'est pas communiste. Pourtant, ses conseils de quartier semblent inspirés du « centralisme démocratique » de feue l'Union Soviétique...

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Les socialistes niçois n’ont pas de chance avec les grandes lois par lesquelles Lionel Jospin espérait régénérer la démocratie : arrivées à Nice, elles trouvent une application un peu particulière. La loi Chevènement sur l’intercommunalité a ainsi abouti à la création de la seule Communauté d’agglomération dans laquelle ne siège aucun élu de gauche, et la loi Vaillant sur la démocratie de proximité a engendré les conseils de quartier. Si le sénateur Peyrat n’a pas participé activement, à l’instar de ses collègues du Sénat, au laminage de cette loi, nul doute qu’il a dû se réjouir de la voir expurgée de ses aspects les plus contraignants. Avant même que la loi ne soit votée, le maire de Nice avait déjà décentralisé en 8 territoires une partie des services municipaux, nettoiement, entretien des espaces verts et des voiries notamment. C’est la raison pour laquelle, à Nice, la mise en place des conseils de quartier s’est faite relativement vite. Mais l’objectif est de mettre ces fonctionnaires municipaux au boulot en les plaçant sous la surveillance, que l’on espère plus attentive, des conseils de quartier. Accessoirement, Jacques Peyrat saura utiliser la loi Vaillant pour réorienter à son avantage les anciens « comités de quartier » (à ne pas confondre avec les nouveaux « conseils » du même nom) pas aussi organisés que les CIQ (comités d’intérêts de quartier) marseillais, mais qui commençaient à se fédérer et à donner de la voix.

En effet, à Nice, ces comités de quartier n’ont longtemps été qu’un instrument de la politique clientéliste du maire, sous Médecin père et fils. Les choses vont changer lorsque Jacques Peyrat va présenter ses projets d’envergure, extension du port de Nice, nouvelle mairie dans le quartier Libération et tramway, contre lesquels vont s’opposer un grand nombre de comités de quartier.

« Les conseils de quartier sont une chambre d’enregistrement »

Un proche collaborateur du maire

Paradoxalement, c’est la loi Vaillant qui va permettre au maire de se tirer de ce mauvais pas et de rejeter dans l’ombre ses opposants. La désignation des membres des conseils de quartier tout d’abord évitera au maire d’y croiser trop d’opposants. Trois collèges sont chargés de cette désignation. Celui des élus compte 4 conseillers municipaux de la majorité, dont l’un est président du conseil, et un de l’opposition. Les 7 “ représentants de la population ” sont directement désignés par le maire. Le danger et la contestation ne peuvent venir que des 7 représentants des principaux comités de quartier, et encore s’agit-il d’un risque mesuré, puisque les comités de quartier les plus irréductibles ne seront pas jugés représentatifs.

De toute façon, pour les opposants, le dilemme était inextricable : soit ils se battaient pour siéger dans un conseil de quartier qu’ils légitimaient par là même mais dans lequel ils n’auraient rien pu faire, soit ils partaient. C’est ainsi que tous ceux qui, à travers leur comité de quartier, s’étaient opposés aux projets du maire sont absents des conseils de quartier, comme MM. Bosio et Bidart, qui avaient combattu le projet d’extension du port, M. Picard dans le quartier des Baumettes, M. Delanef, opposant déclaré à la nouvelle mairie, ou Mme Anita Thomsen. Le même dilemme s’est posé aux élus de gauche au Conseil municipal, la place qui leur était concédée dans le premier collège ressemblant fort à un alibi démocratique. Après quelques hésitations, ils ont accepté.

Le fonctionnement des conseils de quartier évite également les mauvaises surprises. Ainsi, c’est à huis clos que chaque conseil se réunit en assemblée plénière une fois par trimestre. Et si le public a le droit d’assister à l’assemblée générale annuelle, il ne peut y prendre la parole. L’ordre du jour de ces réunions est fixé par le cabinet du maire et les membres du conseil qui souhaitent des informations complémentaires sur les affaires délibérées doivent en faire la demande par écrit. Interrogé sur le rôle des conseils de quartier, M. Trova, qui siège à celui de l’Ariane, les définit spontanément comme des intermédiaires entre la population et la mairie. Et selon l’expression même d’un proche du maire, « les conseils de quartier sont une chambre d’enregistrement des décisions municipales, et en aucun cas une force de proposition. »

En outre, cette architecture très centralisée accorde une place prépondérante aux présidents des conseils de quartier, avec parfois des heureuses surprises, comme à Bon Voyage où la présidente Mme Mehen Ouedherfi accepte de débattre de questions qui fâchent, comme l’OPAM. A l’inverse, ce système peut permettre l’apparition de potentats de quartier, d’autant plus puissants qu’ils auraient un certain nombre de fonctionnaires municipaux, sinon sous leurs ordres, tout du moins à leur botte. Le conseiller municipal d’opposition Bruno Della Sudda (Alternatifs), qui siège au conseil de quartier de l’Ariane, n’y croit guère, et décèle même quelques défections, notamment parmi les représentants des comités de quartier, las de constater que leurs propositions sont systématiquement repoussées.

Les conseils de quartier ne sont pas censés se substituer aux comités de quartier. Bien plus, dans cette nouvelle organisation, ce sont les comités de quartier qui héritent de l’exigence, bien comprise, de démocratie de proximité. Ainsi, selon les mots mêmes de M. Richard Pogliano, chargé de mission à la délégation de proximité, « les comités de quartier sont pleinement dans leur rôle lorsqu’ils organisent des repas de quartier ou la fête des mai » (1). De fait, les comités de quartier les plus virulents, en refusant de participer à l’élection aux conseils de quartier, se sont mis hors-jeu. Les autres, toute honte bue, ne pipent plus mot.

Gilles Mortreux

(1) Nice Magazine, décembre 2002

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