L’irréductible village bio ?

avril 2005
A Correns, 95 % des viticulteurs ont opté pour le bio afin de sauver leur coopérative

C’est un beau roman, c’est une belle histoire. Celle d’un village qui dépérissait et dans lequel, en 1997, la coopérative a frôlé la faillite. Un village qui, aujourd’hui, connaît un véritable regain économique après s’être reconverti entièrement dans la viticulture bio. C’est l’histoire de Correns, 700 habitants, au nord de Brignoles, dans le Var. Au commencement, il y a un homme, Michaël Latz. Pas vraiment le profil de l’idéaliste baba-cool adepte du retour à la terre. Ingénieur agronome, il a travaillé à la Communauté européenne, la chambre d’agriculture du Var et dirigé une PME de distribution de produits phytosanitaires ! Il cumule désormais plusieurs casquettes, parmi lesquelles : vigneron, directeur d’une entreprise d’emballage et de conditionnement du vin, ainsi que maire de Correns. « Quand j’ai été élu, je voyais le village aller tellement mal qu’il fallait trouver une solution pour s’en sortir, se souvient-il. Je me suis dit, mettons-nous à l’agriculture biologique, cela nous permettra de faire de la notoriété à peu de frais. » Vignerons et coopérateurs jouent pleinement le jeu. En peu de temps, 95 % d’entre eux basculent sur le bio. Les retombées médiatiques attendues dépassent les espérances : l’AFP, TF1, le Sunday Times, l’édition allemande de Géo, de nombreux médias s’émerveillent devant pareil succès. Tout n’a pas été pourtant facile. Et tout n’est pas, bien sûr, pour le mieux dans la meilleure des « Provence verte » possible…

« On pioche, on ne désherbe plus à outrance, on ne traite plus les vignes systématiquement, avec des insecticides violents. On retrouve des gestes que les vieux pratiquaient autrefois. » Fabien Mistre, viticulteur en bio

Fabien Mistre, 25 ans, le plus jeune viticulteur du département, nouveau président de la cave coopérative de Correns, se souvient des débuts. « Passer en bio, cela a énormément changé nos pratiques, explique-t-il. On pioche, on ne désherbe plus à outrance, on ne traite plus les vignes systématiquement, en anticipant d’éventuelles maladies, avec des insecticides violents. On retrouve des gestes que les vieux pratiquaient autrefois. La nature y gagne. On préserve notre avenir, mais cela représente bien 30 % de travail supplémentaire. » Les encouragements se multiplient : trophée de l’association des éco-maires de France, label « Merci dit la planète » (sic) du ministère de l’Environnement. Le village joue la carte « bio » à fond. Il favorise la culture de plantes aromatiques et médicinales. Il rénove la mairie selon des normes de « haute qualité environnementale ». Les touristes, du nord de l’Europe en particulier, apprécient. « Nous attirons du monde, avons créé une véritable dynamique touristique, percevons d’importantes aides de l’Etat pour nos démarches, reconnaît Fabien Mistre. Mais c’est difficile. On ne fait pas beaucoup de plus-value sur le bio. Les gens veulent bien boire du vin sous ce label mais pas à des prix aussi élevés. »

En définitive, le bio à Correns, exemple de solution durable pour l’ensemble de la filière viticole ou simple coup marketing ? « Nous pouvons faire office de poil à gratter de l’autre agriculture, souligne Michaël Latz. Il n’est pas possible de nourrir la planète entière avec les méthodes bios. Par contre, le vin se prête à merveille à cette façon de faire. On peut s’en passer, et donc choisir de produire moins et mieux. Dans la concurrence acharnée qui s’annonce, tout ce qui apporte un plus qualitatif va être bienvenu. Sur le plan du goût, le bio n’altère rien mais n’apporte aucune garantie de qualité. Par contre, symboliquement, il offre la satisfaction de boire un vin qui n’a pas altéré la nature. » Le midi de la France – où il y a moins de maladies agricoles, d’humidité, et où il est donc moins nécessaire de traiter- se prête bien aux techniques biologiques. Tout semble donc possible. Correns, village précurseur, s’est-il durablement tiré d’affaire ? Cela reste encore à prouver. Jadis quasiment spécialisé sur les cépages en blancs, qui étaient renommés, il en produit moins de 40 %. Ici aussi, le marché a imposé sa loi sous la forme du rosé. Ici également, comme partout ailleurs dans le Var, la pression foncière s’exerce avec force. « Si la crise s’accentue chez nous comme c’est déjà le cas en Languedoc ou dans le Bordelais, les viticulteurs ne résisteront pas longtemps à vendre leurs terrains constructibles, redoute Fabien Mistre. Dans un pareil scénario, bio ou pas bio, il ne restera très vite plus une seule vigne. » La face sombre, comme il se doit, de tout joli conte de fée. Celle que, bien entendu, les caméras de TF1 ne se sont pas attardées à filmer.

Michel Gairaud

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