Après Brignoles, le FN à la conquête de Marseille ?
Stéphane Ravier dans les locaux du Ravi ? Méfiant, le patron du FN dans le « 13 » préfère prendre rendez-vous dans un bar. T-shirt « Orange mécanique », cheveux aussi ras que le bermuda, il débarque avec, dans sa besace, un questionnaire où l’électeur est interrogé sur les liens entre immigration, chômage et insécurité.
Ce jour-là, Ravier veut parler d’un autre sondage. Celui de l’UMP qui place le FN, avec 25 % des votes, devant le PS et juste derrière Gaudin : « Ça m’a mis de bonne humeur. Mais je n’ai rien appris. Ça ne fait que confirmer ce qui remonte du terrain. » Ravi, Ravier de voir les politiques se lâcher. Sur l’insécurité. Ou sur les Roms : « D’Estrosi à Samia Ghali en passant par Karim Zéribi ou Didier Reault, c’est open bar ! » Au point que Sos Racisme, suite à la saillie de Jean-Marie Le Pen sur la « Romenade des Anglais », ne sait plus où donner de la plainte. Toutefois, précise Ravier : « Pas question de faire d’alliance avec qui que ce soit. On n’est pas là pour sauver l’UMP ! »
Pression sur l’UMP
Fini les tentatives de « deal » comme aux législatives : « Avec 25 %, on peut remporter la mairie du 13/14 et avoir au moins une quinzaine d’élus. Marseille ne pourra être dirigée sans nous. » De quoi donner des suées aux uns et des envies à d’autres. Après Anne Rosso-Roig, candidate marseillaise passée du rouge au brun, c’est au tour d’un élu UMP à Carry-le-Rouet (13), Patrick Amate, de rouler pour Marine Le Pen. Il sera exclu, contrairement à Roland Chassain, le maire des Saintes Maries, qui, d’après Libé, ne se contenterait pas d’en appeler à des « passerelles » entre l’UMP et le FN dans Minute.
Pour Joël Gombin, la droitisation de la vie politique, en Paca et à Marseille, ne date pas d’hier. Pas plus que les transferts ! « Le FN a du potentiel mais pas assez de cadres, souligne le spécialiste de l’extrême droite. Quand on est à l’UMP où toutes les places sont prises, la tentation peut être grande. Mais le coût politique est encore élevé. »
A Marseille le risque d’in-gouvernabilité est réel. « Pour Gaudin, c’est l’arroseur arrosé, poursuit Joël Gombin. S’érigeant en rempart du FN, c’est pourtant lui qui, en 86, a fait alliance avec l’extrême droite. Reste qu’au Front, on doit prier pour que Ravier ne fasse pas un score qui occulterait la victoire espérée par Marine Le Pen à Hénin-Beaumont. Et même si des villes comme Tarascon peuvent basculer, ce qui intéresse le FN, tout entier tourné vers 2017, ce n’est pas de gérer des municipalités. C’est de mettre la pression sur l’UMP. »
Que l’université d’été du FN se soit tenue à Marseille, les 14 au 15 septembre 2013, n’est pas un hasard pour le chercheur : « Marseille est perçue comme la capitale du Front. Or, pour le FN, la dynamique a plus été dans le nord et l’est que dans le sud où, malgré les victoires dans le Vaucluse et le Gard, il y a eu un tassement. Ici, la stratégie "sociale-nationale" marche moins qu’une ligne droitière classique. »
Toujours extrêmes
Une ligne incarnée par Ravier. Grand admirateur du père, avec la fille, il n’y a eu, d’après lui, qu’un changement de « style » : « Elle n’a pas trahi les idées. » Et d’assurer ne pas être « un adepte du tri sélectif. Surtout envers ceux qui sont restés quand on était au plus bas ».
En témoigne Christophe Pietrucci. Cet ex-candidat aux cantonales est au Front « depuis toujours ! » : « On n’a pas changé. Ce sont les gens qui sont devenus extrêmes. On doit même rappeler qu’on est démocrate ! » Ce contrôleur et ancien réserviste vend aussi en ligne du matériel militaire. Son site (Eurokaner…) a toutefois subi un lifting, la croix celtique ayant disparu. « Croix celtique, viseur… Pour moi, c’est le symbole de notre identité », affirme-t-il, pourtant, bravache.
Alors, quand l’Œuvre française s’est réunie à Marseille, il a voulu rencontrer ceux qu’il qualifie de « gentils garçons. On n’est pas d’accord sur tout. Mais on se retrouve sur l’essentiel. » Commentaire d’un « antifa » : « Le FN se sert de sa droite comme d’un vivier. » Ainsi, le FN s’est retrouvé avec des tracts distribués par quelques illuminés déguisés en SS ou en gardes rouge, les « nazis bolchéviques », représentant aujourd’hui dans les Bouches-du-Rhône, Troisième Voie, le groupuscule pourtant dissous de Serge « batskin » Ayoub.
Face à l’université d’été du FN, la riposte s’est organisée, avec une grosse manifestation et une « semaine antifasciste ». Non parfois sans dissensions : « Manifester, ok, mais faire la fête quand le FN se réunit dans ma ville, ce n’est pas ma conception de la politique », grimace « Momo ». La veille du 15 août, round d’échauffement : instrumentalisant le meurtre d’un étudiant, Ravier a réuni devant la préfecture une centaine de personnes, les antifascistes une soixantaine, les forces de l’ordre ventilant sans ménagement ces derniers…
Et un ancien de « Ras l’Front » de se demander : « Comment en est-on arrivé là ? » La réponse est peut-être dans le sondage de l’UMP : 69 % des sondés ne savent pas qui est Ravier. Alors, quand il laisse deux euros de pourboire, le patron de bar lui dit : « Vous êtes gentil. » Forcément, un type qui répond au Ravi…
Sébastien Boistel