« On est pas dans une république bananière ! »

juin 2012
En avril, le Ravi a "testé" le conseil municipal de Bandol (83) dont nous publions ci-dessous le résultat. Dans notre numéro de juin, actuellement chez les marchands de journaux, notre "contrôle technique de la démocratie" est consacré au conseil municipal de Vaison-la-Romaine (84)...

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8h56 Chef de file de l’opposition DVD-PS, Michel Sauzet, un beau-vieux élancé en sportswear, fait son entrée en saluant le public féminin d’une révérence.

9h01 L’appel évacué, Christian Palix, maire DVD depuis 2008, attaque la lecture du « compte-rendu des décisions prises » par lui-même depuis fin janvier. Costard sombre, cravate bleue sur chemise blanche rayée, cheveux rares et lunettes, l’ancien ponte du service pédiatrie de La Timone (Marseille) a un débit lent et monocorde. Le silence se fait naturellement.

9h07 « Contentieux n°3. » Le socialiste Christian Delaud, binôme moustachu de Michel Sauzet, prend des notes puis ordonne minutieusement sa pile de délibérations. L’affaire concerne le responsable du développement économique de la ville, qui n’a curieusement pas suivi son service à la communauté de communes Sud Sainte-Baume lors du transfert de la compétence début 2011. Le 17 février, en attendant de statuer sur le fond, le tribunal administratif de Toulon a suspendu les délibérations supprimant son poste à la mairie ainsi que ses régimes et bonifications indiciaires votés en décembre dernier. Depuis, le fonctionnaire a été « placé en position d’activité, sans affectation ». En clair, il est payé pour rester chez lui. La commune risque 100 euros d’amende jour si elle ne se conforme pas au jugement. Successivement, et dans l’ordre, Christian Delaud, les UMP Lætitia Quilici et François Barois (maire de 2001 à 2008) puis Frédérique Connat (majorité) tirent à boulets rouges sur Christian Palix. Ce dernier écoute mains jointes et coudes sur la table, l’air ailleurs.

9h23 « Vous avez toutes les informations, on continue », conclut le maire sous quelques « oh ! » indignés.

9h28 « Budget primitif 2012 » (délibération 1). Aucune originalité dans l’introduction du pédiatre : « Crise, déficit des collectivités territoriales », etc.

9h38 Christian Palix est toujours aussi soporifique. Lætitia Quilici, une quadra charmante, déléguée nationale et étoile montante locale de l’UMP, consulte son portable pendant que Michel Sauzet (lunettes sur le front) et Christian Delaud se bidonnent.

9h40 Frédérique Connat relance le dossier Calvez. Christian Palix consulte son DGS avant d’être suppléé par une fonctionnaire inaudible. Laetitia Quilici puis Christian Delaud s’en mêlent. Une nouvelle fois, les questions restent sans réponse.

9h55 De plus en plus échauffé, Christian Delaud finit par menacer, théâtral : « Tous ceux qui voteront ce budget sans la réintégration du poste de Didier Calvez seront contrevenants à une décision de justice ! On n’est pas dans une république bananière ! » Christian Palix reprend la lecture de son budget primitif, imperturbable.

10h04 Le conseil ronronne. Ma voisine, une retraitée plutôt classe – multiples bijoux en or, pantalon noir et veste rose –, en profite pour une présentation des forces en présence : « Coté majorité, Bogi, le premier adjoint, et Sagniez n’ont plus de délégation depuis que Bogi a eu une altercation avec un autre élu, et Connat et Solange Moroni sont entrés en dissidence. Côté opposition, Laetitia Quilici a quitté le groupe de Barois et siège en indépendante. » Simple. Sourire malicieux de Carole Peloton, c’est son nom : « Le maire, Bogi, Barois et Quilici sont tous à l’UMP. » Mieux, selon quelques mauvaises langues, Marcel Bogi, faux-air de Gabin en fin de carrière, élu depuis 1983, ferait même les rois de Bandol à défaut d’être couronné. Une certitude : le parti présidentiel ne risque pas de perdre la ville…

10h22 Explosion de rire dans le public. Christian Palix vient d’assurer : « Je ne mens jamais. »

10h38 Les vieux cadavres ressortent du placard. Le pédiatre, qui s’est réveillé, attaque son prédécesseur sur son grand œuvre, la médiathèque municipale. Un édifice doublé d’un parking de quatre étages qui, selon ma voisine, a été une des causes de sa chute. La discussion tourne rapidement au vinaigre.

10h45 Laetitia Quilici revient sur l’affaire Calvez. « On va laisser la justice trancher, je remets le poste. On va le mettre sur papier », la coupe Christian Palix. Stupeur de l’UMP : « Ah bon ? » Frédérique Connat plus sceptique, le harcèle. Le maire tranche : « De toutes façons, vous ne voterez pas mon budget ! » Marcel Bogi s’en mêle : « Moi non plus, car je sais ce que valent vos écrits. » Les débats s’enflamment de nouveau.

10h52 Vote. 8 voix contre, 2 abstentions. Christian Delaud, « satisfait sur sa demande », a voté le budget avec la majorité.

11h13 A l’exception de François Barois, plus personne ne semble s’intéresser au conseil. Depuis plusieurs minutes, l’ancien maire et colonel de l’armée de l’air mitraille d’une voix forte chaque délibération. Où s’en prend directement au maire, comme sur sa tribune caviardée dans le dernier journal municipal : « Faudra m’expliquer pourquoi on m’a censuré ! » Le maire, qui s’est tassé sous les rafales : « C’était un tract. »

11h28 Confidence de ma voisine : « Je suis surprise que Delaud soit combatif. Habituellement, il vote avec la majorité et c’est Michel Sauzet qui bataille. »

11h42 Retour de la médiathèque. La ville doit solder l’opération avec le maître d’œuvre (délibération 22). Christian Delaud annonce : « Je ne donnerai pas quitus, c’est un gouffre financier ! » François Barois s’excite, canarde dans tous les sens, le maire esquive en jouant l’autiste. Son prédécesseur finit par décrocher, conclut par un lapsus : « Je vote contre le quitus ! » Avant de se reprendre : « Non, pour. » Sourire mesquin du pédiatre et petits rires étouffés dans la salle.

11h55 « On va attaquer les subventions aux associations », annonce Christian Palix. Et de préciser : « Il y a eu une harmonisation entre 27 000 et 30 000 euros. » « Je trouve que ça n’est pas pertinent », attaque Christian Delaud. Un peu gêné, le socialiste repositionne une nouvelle fois son tas de délibérations avant de passer de longues minutes à défendre le club de foot local, l’union sportive bandolaise, avec le soutien moral de quatre Bandolais assis derrière lui. Sylvie Redercher, adjointe aux sports, la quarantaine stylée Eva Joly (coupe courte, cheveux blonds, lunettes rouges), reste inflexible : « J’attends que le club atteigne ses objectifs. »

12h14 « Gymnastique rythmique et sportive » (délibération 32). « Il manque 3 000 euros », bougonne François Barois. « Tu veux te mettre à la gym ? », rigole Laetitia Quilici.

12h20 « Extrême Bandol Club » (délibération 37). Budget, statuts, bureau, tout le dossier est contesté par toutes les oppositions. Sylvie Redercher s’énerve : « Je savais qu’il y aurait des questions. Le fonctionnement est de 5000 euros , le reste c’est de l’événementiel. Si vous voyez tous les articles de journaux qu’il y a sur cette association. Si on vote contre, y’en aura plus ! » François Barois repart à l’assaut : « Je voterai ces 5000 euros , que l’EBC fasse ses preuves ! » L’adjointe aux sports, le regard noir : « On n’en entendra plus parler, il n’y aura plus les manifestations qui amènent tout ce monde à Bandol. » Comme souvent, Christian Palix est en retrait, spectateur. Christian Delaud, lui, saute sur l’occasion pour replacer son club de foot. Les choses s’enveniment, les micros grésillent. Ma voisine rigole : « Même la sono est fatiguée ! »

12h39 La délibération a été approuvée, mais le problème ne semble pas réglé : le DGS fait des allers-retours auprès de Sylvie Redercher, toujours furibarde.

12h49 « Modification du tableau des effectifs » (délibération 57). « ça n’a rien à voir avec ce qui a été dit tout à l’heure », prévient Christian Palix, qui a nettement accéléré son débit. Christian Delaud vote en envoyant des sms.

12h55 59ème et dernière délibération. Dans un même souffle, Christian Palix lance : « Qui est contre, qui s’abstient, qui est pour, la séance est levée ! » La plupart des conseillers également.

Jean-François Poupelin

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